Chronique 

Agonie impériale…

Dans quelques mois, les bureaux montréalais du ministère de la Culture, ceux du Conseil des arts et des lettres du Québec et celui de la Régie du cinéma vont déménager. La date du déménagement est encore incertaine, mais ce qui est certain et confirmé, c’est le nouvel emplacement.

Ces organismes culturels qui assurent la survie et l’épanouissement de la culture québécoise vont en effet déménager angle De Bleury et De Maisonneuve, dans le tout nouvel édifice Wilder, où loge déjà une partie du monde de la danse, y compris bientôt les Grands Ballets canadiens. Ils seront rejoints d’ici 2020 par l’Office national du film du Canada, qui déménagera ses pénates et son siège social dans l’édifice à côté.

C’est dire que bientôt, au cœur du Quartier des spectacles, rue De Bleury, une sorte de Mecque de la culture verra le jour, réunissant en un même lieu les phares et les pôles les plus importants de la scène culturelle québécoise.

Or, ironiquement, en face de ces phares et de ces pôles, directement en face, au 1432, rue De Bleury, le cinéma Impérial, classé édifice patrimonial, ne fait pas que mourir à petit feu, il semble être à l’article de la mort. Rien de moins.

Le 14 avril dernier, ses principaux créanciers ont menacé de saisir le cinéma Impérial d’ici 60 jours si son propriétaire ne remboursait pas la somme de 3,6 millions – qui, avec les intérêts, a grimpé à 4,3 millions – qu’il leur doit.

Pas besoin de rappeler que le propriétaire en question est Serge Losique, président du Festival des films du monde, un festival qui, à l’approche de sa 41édition, semble lui aussi à l’article de la mort, d’autant plus que cette année, il ne pourra pas être sauvé par l’argent du Gold Finance Group. Selon mes sources, le groupe chinois, échaudé par l’expérience du dernier FFM, n’a pas l’intention d’accorder le moindre yuan au festival et à son président.

« Le festival est une grande cathédrale. Tant qu’il reste des pierres, il existe », avait déclaré M. Losique au Devoir l’an passé. Sans doute n’avait-il pas prévu dans son aveuglement optimiste que bientôt il ne resterait même plus les pierres sur lesquelles s’appuyer pour continuer à exister.

Je ne referai pas ici le procès du FFM ni de M. Losique, qui a été fait un million de fois sans que cela ne mène nulle part sinon vers un générique de fin et une fin plus triste qu’heureuse.

Par contre, je me questionne sur le silence des instances culturelles, qu’elles soient municipales, provinciales ou fédérales, qui regardent le bateau piquer du nez et sombrer sous les flots, sans apparemment lever le petit doigt ni lui lancer la moindre bouée.

Qu’on en ait assez de M. Losique et de son festival dépressif est une chose. Mais qu’on laisse aller un joyau de notre patrimoine collectif est plus que navrant.

Dois-je rappeler que le cinéma Impérial, construit en 1913, s’inscrivait dans le courant des super palaces cinématographiques censés donner du lustre à l’industrie et lui attirer la classe privilégiée des bien nantis. Selon la documentation fournie par le ministère de la Culture, l’Impérial est le super palace le mieux conservé parmi ceux du centre-ville. Et pour cause. Il a été restauré au tournant des années 2000 au coût de 5 millions et, sauf erreur, il est le dernier du centre-ville à tenir encore debout, les autres ayant tous disparu dans un gros nuage de gravats et de poussière.

Toujours selon la documentation officielle, l’Impérial présente non seulement un intérêt patrimonial mais aussi architectural et artistique, avec ses motifs inspirés de la Renaissance, ses lambris de marbre, les scènes bucoliques peintes sur les murs, les ornements floraux sur les caissons du plafond ou encore son rideau de scène peint par Emmanuel Briffa, qui a décoré plus de 200 salles de cinéma en Amérique.

L’Impérial aurait certes besoin d’un coup de balai et d’un bon coup de pinceau, mais, pour le reste, le théâtre demeure sans l’ombre d’un doute un des plus beaux de Montréal.

C’est aussi un lieu riche sur le plan historique. Le pionnier du cinéma Léo-Ernest Ouimet le louait dans les années 30 pour y présenter des pièces de théâtre comme du cinéma. Gratien Gélinas y a présenté ses Fridolinades. Dans les années 80, l’Impérial fut le premier cinéma montréalais à se doter d’un système THX et à pouvoir se vanter d’un mur de son provenant de 50 haut-parleurs. Trente ans plus tard, il demeure le seul et unique authentique cinéma du Quartier des spectacles, ce qui en soi devrait lui conférer une nécessaire pérennité. Et pourtant…

Au ministère de la Culture, le porte-parole du ministre Luc Fortin m’assure que l’Impérial est protégé par son classement et que même en cas de saisie, les nouveaux proprios n’auront pas le droit de faire la moindre modification au bâtiment.

Du côté de la Ville de Montréal, Manon Gauthier m’affirme que l’Impérial est un élément essentiel du Quartier des spectacles et que la Ville étudie toutes sortes de scénarios de partenariat pour son avenir.

Reste qu’à moins d’un miracle – et je doute fortement que ce miracle se produise –, l’Impérial sera saisi par ses créanciers en juin.

Dans le meilleur des cas, ils revendront l’édifice à un ou plusieurs partenaires publics ou privés qui auront à cœur sa pérennité. Dans le pire des cas, les créanciers ne voudront pas vendre ni se plier aux contraintes imposées par le gouvernement et là, Dieu seul sait ce qu’ils feront…

Le cas échéant, on pourra toujours blâmer les créanciers, mais encore davantage tous ceux du milieu culturel qui, confortablement installés dans leurs nouveaux et rutilants bureaux de l’autre côté de la rue, ont regardé un joyau sombrer sans tenter de le sauver.

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