Élections fédérales 2015  Opinion

L’exil en ville

Un inconnu marche d’un pas hésitant vers le parc. Ce quidam, tiens appelons-le Quidam, passe beaucoup de temps à jongler avec de multiples scénarios afin de payer son loyer. Un travail d’équilibriste !

Quidam habite une des grandes villes canadiennes, Montréal. Une ville où 33 % des ménages consacrent plus de 30 % de leurs revenus pour se loger. Une ville où la grande majorité des nouvelles constructions sont de petits condos dispendieux. Une ville qui manque cruellement de logements avec au moins trois chambres à coucher. Or, Quidam a eu la drôle d’idée d’avoir trois enfants. Trois chambres à coucher, ce n’est même pas assez !

Le loyer de Quidam est de 850 $ par mois. Une aubaine qui s’accompagne toutefois de quelques trous d’aération ici et là. Quidam veut bien améliorer son sort. Quidam cherche des solutions. Il a pensé au logement social, mais même là, les grands logements sont très en demande. Et puis, lui a-t-on expliqué, le gouvernement fédéral a mis fin au financement de nouveaux logements sociaux. En tout cas, avec 22 000 ménages inscrits sur la liste d’attente de l’Office municipal d’habitation de Montréal, Quidam se dit que ses enfants seront bien grands lorsque ce sera son tour.

Il en fait des efforts, Quidam. Il n’est même plus dans les statistiques du chômage avec le petit boulot qu’il s’est dégotté. De toute façon, Quidam n’avait pas droit à l’assurance-emploi, comme six chômeurs sur dix. Ce qu’il comprend difficilement, puisqu’il a payé des cotisations d’assurance emploi toute sa vie de travailleur. Le taux de chômage stagne autour de 10 % à Montréal, mais la pauvreté augmente, constate Quidam.

Les enfants de Quidam vont à l’école. L’éducation gratuite du Québec lui coûte 200 $ par enfant à la rentrée. 600 $ au total, plus les frais d’activités que réclame l’école. Mais Quidam avait décidé de prioriser l’éducation de ses enfants. Aux dépens de l’épicerie. Puis, il s’est ravisé. On ne peut quand même pas envoyer ses enfants à l’école le ventre vide : ça prend une bonne alimentation pour être bien concentré. Mais, c’est le loyer qui bouffe tout.

Pourtant, Quidam travaille. Il gagne un salaire au-dessus du minimum, 14 $ de l’heure. 2240 $ par mois, avant impôt. 38 % de son salaire est bouffé par le loyer. Il n’en reste plus beaucoup pour faire de grosses épiceries. Quant au transport… Pas d’auto pour lui. De toute façon, ça pollue, se dit-il pour se convaincre. Pas pour lui non plus, la carte mensuelle de la STM ou le BIXI. Alors Quidam marche et jongle encore avec de multiples scénarios afin de payer son loyer.

Quidam espionne les autres maisons, scrute les autres personnes, qui vont et viennent au restaurant, au hockey, au spectacle, et il voit bien qu’il ne fait pas partie de la même ville.

Heureusement, il lui reste la télé. Aux nouvelles, Quidam réalise qu’il est trop pauvre pour que des partis politiques s’intéressent à lui pendant cette campagne fédérale. « Classe moyenne », « classe moyenne », « classe moyenne », scande-t-on partout. Les baisses d’impôt ne seront pas pour lui, soupire-t-il.

Quidam ne fait pas partie de la même société. Quidam est un exilé dans sa propre ville. Un citoyen de seconde zone. Une zone que l’on oublie facilement.

La Coalition montréalaise des Tables de quartier regroupe 30 tables de concertation dans les quartiers montréalais. Nous jugeons que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans de multiples domaines afin de contribuer à la qualité de vie de tous les citoyens et de toutes les citoyennes. Malheureusement, il est très peu question des enjeux de développement social et de pauvreté dans cette élection. Parlons-en !

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