Athlétisme

Un pas à la fois

De grandes affiches du programme d’excellence du Rouge et Or décorent le corridor menant à la nouvelle section du pavillon des sports de l’Université Laval. Chaque sport est représenté par un athlète. Pour l’athlétisme, Charles Philibert-Thiboutot est en vedette.

Le coureur de 23 ans nous attend dans le hall d’entrée quelques mètres plus loin. En ce début d’après-midi du mois de novembre, il se fond à la faune étudiante qui tue le temps entre deux cours. À 1,83 m et 63 kg, il n’a l’air de rien. Jusqu’à ce qu’il se mette à jogger, une heure plus tard, pour les besoins d’une séance photo sur la piste du stade du PEPS. Sa foulée est aérienne.

Philibert-Thiboutot semble aussi étonné qu’excité d’accorder une entrevue à La Presse. Au moment de prendre rendez-vous, il disait garder un souvenir très précis d’un article publié en juillet 2010 sur Olivier Collin. Ce spécialiste de 1500 m de Saint-Lazare avait causé une surprise en faisant tomber une vieille marque provinciale qui datait de 1977.

« En 2010, j’étais au cégep et je ne me voyais jamais être au niveau de Collin. C’est pour ça que je trouve ça drôle », explique Philibert-Thiboutot en entrevue.

À l’époque, il s’apprêtait à faire ses débuts avec le Rouge et Or. Il rêvait simplement de se qualifier pour les championnats canadiens universitaires.

Non seulement a-t-il réussi, mais quatre ans plus tard, il a remporté l’or au 1500 m et l’argent au 3000 m. Il a poursuivi sur sa lancée durant la saison extérieure, courant trois fois en 3 m 38 s et s’approchant à huit centièmes du record provincial de Collin. En juin, il a terminé deuxième aux championnats nationaux de Moncton derrière le double olympien et sextuple tenant du titre Nathan Brannen.

Nommé athlète senior par excellence au gala de la Fédération québécoise d’athlétisme, le mois dernier, le spécialiste de demi-fond rêve maintenant de championnats du monde et de Jeux olympiques.

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Soccer, hockey, basketball, football, tennis, ski alpin : Charles Philibert-Thiboutot a pratiqué tous les sports durant son adolescence. Ce qui le distinguait ? « J’étais tout le temps le plus rapide, celui qui ne s’essoufflait jamais. »

Son professeur d’éducation physique au Séminaire des Pères Maristes, à Sillery, l’a remarqué. « Il m’inscrivait chaque année au cross-country et je haïssais ça », admet-il avec amusement. Il redoutait surtout les longs entraînements qui le taxaient avant ses pratiques de soccer.

À partir de sa 3e secondaire, il a remporté le 5 km de son école. Sauf que le cross-country ne le branchait pas plus. Il se souvient d’un championnat provincial à Farnham où il a perdu un soulier dans la boue. « J’avais fini la course nu-pied et j’étais arrivé dans les derniers. À partir de là, la course, ça me faisait bouillir. Je ne voulais jamais en faire. »

Mais le professeur était insistant. Profitant d’une soudaine poussée de croissance, Philibert-Thiboutot a gagné l’argent au championnat provincial l’année suivante. « Dans ma tête, c’était la fin du monde », se souvient celui qui termine un diplôme d’études supérieures en relations publiques. Un entraîneur du Rouge et Or l’a repéré et invité à se joindre au groupe.

Le jeune cégépien a mis deux ans avant de s’y mettre sérieusement et de comprendre qu’il ne pouvait se contenter des deux séances hebdomadaires avec les athlètes universitaires.

Sa progression n’a pas été fulgurante, mais constante. Chaque année, il a retranché des secondes et amélioré sa position aux championnats canadiens. Jusqu’à sa deuxième place de l’été dernier, alors que Brannen l’a marqué à la culotte avant de le déposer à une centaine de mètres de la ligne.

Le manège s’est répété à chacune de leurs confrontations, à l’agacement du coureur de Québec. « Laisser un jeune tirer tout le monde, je trouvais ça plus frustrant qu’autre chose de la part d’un vétéran qui a fait des Olympiques, qui est numéro un au pays depuis plusieurs années, souligne-t-il. En même temps, je me dis que ça va payer un jour. À un moment donné, il ne sera plus capable de passer à côté. »

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Exigeant vitesse et endurance, sens tactique et force de caractère, le 1500 m est tout sauf facile. « Dans un 1500, tu n’es jamais bien », décrit Philibert-Thiboutot, qui brûle quatre paires de souliers par mois.

« Tu es comme sur la corde raide. Tu dois trouver ta zone de non-confort… et faire en sorte que cette zone devienne ta zone de confort, ton alliée. »

— Charles Philibert-Thiboutot sur les exigences du 1500 m

Choisi pour représenter le Canada dans l’équipe des Amériques à la deuxième Coupe continentale de l’IAAF, à Marrakech, en septembre, il a pu mesurer le chemin à parcourir avant de pouvoir frayer avec les meilleurs de sa profession. Opposé à des médaillés olympiques et mondiaux, il a terminé huitième et dernier.

Malgré tout, il est revenu du Maroc galvanisé par des encouragements reçus là-bas. Capitaine de l’équipe des Amériques, l’Américain d’origine kényane Bernard Lagat, deuxième performeur de l’histoire sur 1500 m, a été particulièrement chaleureux. « Il m’a dit : " Les gars qui t’ont donné une volée, comme Souleiman et Kiprop(1), tu vas être avec eux dans quelques années." Recevoir un tel speech de motivation de Bernard Lagat, c’était surréel. »

À sa cinquième et dernière saison sur le circuit universitaire, Philibert-Thiboutot est maintenant « à la croisée des chemins ». La course à pied sera dorénavant sa « profession ». « Pendant que j’ai des amis qui vont être dans leur bureau, en bas de l’échelle, à se faire taper sur les doigts, pense-t-il, moi, je vais être en train de m’entraîner et de me faire du fun. » Il se trouve bien chanceux.

(1) Le Djiboutien Ayanleh Souleiman est champion du monde en salle. Le Kényan Asbel Kiprop a été déclaré champion olympique aux JO de Pékin après la disqualification pour dopage du Bahreïnien Rachid Ramzi.

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