Analyse

Péladeau craignait de perdre la garde des enfants

QUÉBEC — Il n’a pas attendu la diffusion de l’entrevue de Julie Snyder dimanche soir. Dès la fin de semaine, Pierre Karl Péladeau avait annoncé son départ à ses plus proches collaborateurs. Probablement avait-il eu vent des déclarations de son ex-conjointe lors de l’enregistrement de Tout le monde en parle, jeudi.

Depuis l’annonce de l’interview, la semaine dernière, il était muet sur Facebook comme sur Twitter. Pourtant, deux jours plus tôt, il ne semblait pas y avoir de doute quant à son plan de match : il venait de mettre de côté son chef de cabinet Pierre Duchesne, le genre de décision difficile qu’on ne prend pas pour quelques jours. À l’Assemblée nationale, il avait trouvé le ton juste, après des mois de tâtonnement.

Pierre Karl Péladeau n’avait plus le choix, placé devant « l’absence d’alternative qui [le] force à faire un choix déchirant », comme il l’a dit publiquement. En coulisses, on explique que la médiation avec Julie Snyder était difficile depuis longtemps – bien avant l’annonce de leur séparation, le 25 janvier. La semaine dernière, elle est devenue intenable ; à défaut d’être plus disponible, Pierre Karl Péladeau était menacé de perdre carrément la garde de ses enfants. Le chef péquiste était forcé de faire un choix.

« ENFANCE DIFFICILE »

« J’ai eu un père absent, une enfance difficile. Je veux réussir ma famille », a dit Péladeau à ses députés, lors de la conférence téléphonique qui a immédiatement précédé son annonce publique. Pas un mot sur son enfance en public. Aucune question des élus, aucun commentaire ; il était déjà parti, en route pour son point de presse.

Il faut rappeler que son père, Pierre Péladeau, a pu construire un empire médiatique, mais qu’il ne s’est pas beaucoup occupé de ses enfants. À 8 ans, Pierre Karl a été confié à la famille Laframboise, à Outremont, une famille traditionnelle où les enfants mettaient la main à la vaisselle après le repas et tondaient le gazon. Sa mère, Thérèse Chopin, dépressive, s’est suicidée quand Pierre Karl a eu 14 ans.

Dans son entrevue coup de poing à Tout le monde en parle, Julie Snyder n’a pas caché que la négociation était pénible.

Ce qu’elle n’a pas dit, c’est que pour conserver le droit à la garde partagée, Pierre Karl Péladeau devait démontrer une disponibilité sans failles, une condition carrément inconciliable avec les obligations d’un chef de parti.

Elle vérifiait méthodiquement la présence de son ex-conjoint auprès des enfants. Récemment, elle exigeait de connaître, en détail, les disponibilités du chef péquiste l’été prochain.

L’entourage de Mme Snyder a appris la nouvelle de la démission de M. Péladeau en même temps que tout le monde. L’équipe de M. Péladeau n’avait averti personne de son intention, indique-t-on.

SOUS PRESSION

À la mi-avril, à l’anniversaire d’un proche conseiller, Me Eric Bédard, M. Péladeau était passé en coup de vent à la réception où se trouvaient 150 personnes, dont les ex-premiers ministres Pauline Marois et Lucien Bouchard, ainsi que l’ancien chef péquiste André Boisclair. Normalement, il aurait dû rester longtemps à ce rassemblement – Stéphane Bédard et son père Marc-André y étaient aussi, eux qui avaient contribué à la victoire du PQ à l’élection complémentaire, quelques jours plus tôt.

Après un très rapide tour des tables, Péladeau s’est envolé, en route pour Outremont. « Faut que j’y aille, j’ai les enfants », a-t-il expliqué, un pied déjà dans l’escalier. Péladeau et Snyder font du « nesting » – les enfants restent dans leurs affaires, ce sont les parents qui se déplacent.

Des proches constatent que Pierre Karl est un peu moins présent que Julie, mais qu’il s’occupe très bien de ses deux enfants, même si, avec d’autres adultes, il déblatère un peu contre Julie. En anglais, en espérant que les enfants ne comprennent pas.

Quelques minutes avant les députés, l’exécutif du PQ avait eu une conférence téléphonique éclair – cinq minutes – pour être prévenu de l’annonce à venir. L’exécutif sera réuni à Québec vendredi soir, une rencontre déjà prévue. Mais son ordre du jour sera inattendu : valider la décision prise quelques heures plus tôt au caucus à propos de celui qui guidera par intérim l’aile parlementaire.

Le nom d’Agnès Maltais revient comme en 2014, quand Mme Marois est partie – le caucus avait préféré Stéphane Bédard. Le doyen François Gendron l’a déjà fait, mais préfère être vice-président de l’Assemblée. Bernard Drainville ne sera pas de la course, mais il se fait courtiser pour l’intérim – il serait le meilleur à mettre devant Philippe Couillard. Un autre candidat pour l’intérim : Sylvain Gaudreault, qui était malheureux sous Péladeau.

Ceux qui envisagent d’être dans la course à la direction, les Alexandre Cloutier, Véronique Hivon ou Martine Ouellet, ne seront naturellement pas candidats à l’intérim. Jean Martin-Aussant, qui laisse flotter son nom et reste en réserve, arrivera bientôt à la croisée des chemins. Comme Alexandre Cloutier, il a de jeunes enfants.

AGENDA CHAMBARDÉ

Le PQ se retrouve avec un sérieux problème d’agenda. Le congrès qui a lieu tous les deux ans est prévu pour juin 2017. La « proposition principale », la toile de fond pour le prochain programme, est à être élaborée dans les circonscriptions et devait devenir officielle l’automne prochain. Tout ce processus doit être mis en suspens le temps que le PQ choisisse un nouveau chef.

Les péquistes sont atterrés, mais les libéraux et les caquistes sont inquiets. Depuis des mois, à la blague, dans l’entourage de Philippe Couillard, on disait prier pour que Pierre Karl Péladeau soit à la tête du PQ aux prochaines élections. Une campagne contre Péladeau permettait de prévoir une campagne sur la souveraineté, un terrain sûr, de l’avis des stratèges libéraux. Un nouveau leader péquiste, avec une approche différente quant à la démarche souverainiste, suppose un important réalignement du côté libéral. Un autre élément est aussi impondérable : le nouveau chef pourrait bien être un Alexandre Cloutier ou un Jean-Martin Aussant, soit un leader plus jeune, un changement de génération – une formule qui a été heureuse pour les libéraux fédéraux avec l’arrivée de Justin Trudeau.

Du côté de la Coalition avenir Québec, une nouvelle course au PQ n’est pas une bonne nouvelle. Déjà, lors de la précédente, François Legault relevait que les médias n’avaient plus beaucoup de place pour le message de son parti tant le PQ mobilisait l’espace. Seule consolation, on confie qu’à tout le moins, le changement de garde survient à deux ans des élections. On pourra ajuster la stratégie avant le scrutin d’octobre 2018.

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