Opinion Boucar Diouf

Pour les PPP ou le pouvoir aux pépés qui ont du pep

En regardant Joe Biden, qui est presque octogénaire, aller, il m’arrive de me demander si on ne devrait pas fixer l’âge d’éligibilité à la tête des États de droit à 80 ans et donner le pouvoir aux pépés qui ont du pep.

Rien de réducteur ici dans l’utilisation du mot pépé. Juste une expression de ce besoin irrépressible de faire des allitérations qui sommeille en moi. Cette précision faite, pourquoi les PPP ? Pour élire des dirigeants qui ne cherchent aucunement à préparer leur futur professionnel après leur passage en politique.

La majorité des politiciens et politiciennes s’engagent pour servir avec noblesse, mais il y a une minorité qui se présentent aussi dans le but d’ouvrir des portes qu’ils pourront emprunter ultérieurement, après leur passage en politique. Pensez ici au banquier Bill Morneau glissant dans le projet de loi omnibus C-29 une disposition qui aurait permis aux banques de contourner la Loi sur la protection du consommateur du Québec.

Cette manœuvre, que le Bloc québécois a contribué à mettre en échec, fait partie de ces politiques crasses et opportunistes qui fragilisent la confiance en la démocratie.

Il y a également ceux qui vont en politique pour se faire un réseau avant de se reconvertir en lobbyiste et revenir influencer les décisions des législateurs.

Que dire maintenant des anciens politiciens influents qui pactisent dans l’ombre ou à la lumière du jour avec les gros cabinets d’avocats pour faire avancer des dossiers grâce à leur nom et à leur réseau ?

Même s’ils n’ont rien d’illégal, ces comportements individuels questionnables, combinés à l’absence de service après-vente postélectoral, ont fini par susciter un climat de cynisme dans une partie de la population qui écoute désormais le discours politicien comme on mâche du chewing-gum. Le diktat de l’argent combiné à l’art d’emballer le mensonge pour en faire une vérité politique sur le plan économique, social ou environnemental mène tranquillement une certaine démocratie au bord du précipice. Pour paraphraser Jules Michelet, disons que cette politique qui consiste à solliciter l’argent des riches et les votes des pauvres sous de fausses promesses de les protéger les uns des autres cause une fracture de plus en plus irréparable.

Chez ces gens qui n’y croient plus, tout ce qui vient du politique suscite une méfiance et une négation, dont la version radicale mène à la maintenant célèbre et très active idéologie conspirationniste. Même l’efficacité du masque, des vaccins, du confinement et de bien d’autres mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie est rejetée par une frange plus radicale qui évoque des tentatives d’arnaques politiciennes visant l’implantation d’un nouvel ordre mondial.

Si la mouvance conspirationniste qui fait beaucoup rager était aussi en grande partie l’expression ostentatoire de cette crise de confiance envers les institutions ? Une fracture sociale qui était en dormance dans nos communautés et que le virus a révélée au grand jour avant de laisser les réseaux sociaux faire le reste du travail.

Si cette négation, de plus en plus incompréhensible envers ce qu’on considère comme des évidences scientifiques, devait aux dérives du capitalisme et à une certaine tradition politique qui excelle dans l’art de rouler le peuple dans la farine ?

Vous voulez un exemple ? Prenez ici le cas de Justin Trudeau et des plaintes visant le chef d’état-major, le général Jonathan Vance. Après une période de négation où il disait n’avoir jamais été mis au courant des plaintes visant ce haut gradé, voilà que Justin reconnaît maintenant avoir été mis au parfum des allégations le visant. Puis, pour ne pas perdre la face, il a trouvé une nouvelle parade. Cette fois-ci, il raconte que personne ne savait qu’il s’agissait d’une plainte de type #metoo. Pour le cas plus récent du major-général Dany Fortin, Justin nous a sorti la même réponse évasive : « Je savais qu’il y a quelque chose, mais je n’en connaissais pas la nature. » Alors, la question qui tue ! Pourquoi Justin, qui se dit si féministe, n’a pas jugé nécessaire de se renseigner sur la nature des allégations d’inconduite touchant ces gradés au moment où l’armée est largement montrée du doigt en la matière ? Est-ce qu’il y a un seul esprit sensé prêt à avaler cette grande couleuvre probablement pondue par les stratèges de la communication politique derrière des portes closes ?

Chose certaine, ce sont des comportements semblables qui expliquent que beaucoup finissent par ne plus croire au système. La fracture est si large aujourd’hui qu’on entend ces nombreux sceptiques se demander à quoi ça sert de voter quand on sait que ça ne changera pas grand-chose. Pourtant, s’il y a une certitude en la matière, c’est que ça peut toujours être pire. L’Amérique de Trump nous l’a prouvé très largement ces dernières années.

En 2016, une étude menée par deux universitaires de Harvard, Roberto Foa et Yascha Mounk, a rapporté qu’une bonne partie de la génération Y ne croyait pas vraiment à la démocratie. Moins de 30 % des adultes américains dont la date de naissance était postérieure à 1980 pensaient que la démocratie est essentielle. Plus de 20 % des adultes nés après 1970 trouvaient que la démocratie américaine est « mauvaise ou très mauvaise ». Plus surprenant encore, un bon pourcentage de ces électeurs avouaient n’avoir aucun problème à ce que l’armée s’empare du pouvoir en cas de pépin. Gageons qu’après le passage de Trump, qui admirait ouvertement les dictateurs, la proportion d’Américains qui n’ont plus foi en la démocratie a augmenté. Si on faisait le même sondage dans d’autres pays dits démocratiques, gageons qu’on trouverait aussi des preuves de cette crise de confiance qui a été en grande partie creusée par le brouillage de la frontière entre promesses et mystifications électorales.

Bien consciente de cette plaie béante dans les sociétés démocratiques, une nation comme la Chine n’hésite plus à positionner ouvertement son système autocratique comme le modèle de l’avenir.

Une proposition de substitution décomplexée qui fait mouche, comme en témoigne très récemment le drame qui se joue en Birmanie. Beaucoup d’observateurs pensent d’ailleurs que c’est pour contrer cette propagande d’anoblissement des régimes autocratiques que Joe Biden, qu’on pensait faussement manquer de pep, n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les commanditaires. En l’espace de quelques mois, il a dégainé durement sur le régime chinois, Poutine et la Turquie. Il a été si direct et véridique que c’est à se demander maintenant si élire un presque octogénaire qui cherche plus à laisser des traces qu’à préparer son futur ne serait pas la solution à la crise qui secoue nos sociétés. C’est comme si, se considérant probablement comme le président d’un seul mandat, Biden n’a pas peur de déplaire. Ce qui lui donne cette liberté qui expliquerait sa rhétorique sans complaisance envers ce qu’il considère comme les ennemis de la démocratie.

L’histoire nous dira ce qu’il adviendra de son règne, mais force est d’admettre que ce gars a une vraie compassion pour les damnés du néolibéralisme qui abondent dans son pays. Cette révolution progressiste qu’il essaye de mettre en marche aux États-Unis est la preuve qu’on peut améliorer les choses. Juste le fait de parler sans aucune nuance de la nécessité de s’attaquer à la crise environnementale et partager la richesse dans cette Amérique à la fois si riche et si pauvre donne le goût d’élire des octogénaires qui cherchent bien plus à laisser un bel héritage de leur passage dans la biosphère qu’à semer des graines pour leur avenir.

Bon, pour terminer, je dois reconnaître que Donald Trump, qui a traumatisé la planète pendant les quatre dernières années, avait juste quelques années de moins que Biden. Finalement, peut-être que ma théorie ne vaut tout simplement pas de la chnoute, car Donald est une preuve irréfutable qu’il y a aussi un risque à confier le pouvoir aux aînés. « Le pire con, c’est le vieux con, car on ne peut rien contre l’expérience. » Ainsi disait Jacob Braude.

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