Le courrier de la sommelière
Des vins qui ont la vie dure
Collaboration spéciale
Il y a des vins qui ont la vie plus dure que d’autres. Des vins qui sont moins appréciés, souvent parce qu’ils sont moins bien connus. C’est le cas des vins allemands, entre autres, et de nombreux vins fortifiés.
Ceux qui connaissent le terme « vin fortifié » l’associent d’emblée aux portos. C’est pourtant une famille beaucoup plus vaste ! Tous les pays viticoles produisent une forme ou une autre de vin fortifié.
Le terme désigne des vins auxquels on ajoute un spiritueux, pour les stabiliser, les « fortifier ». L’alcool plus élevé du produit résultant agit en tant qu’agent de conservation. Dans le cas du porto, par exemple, c’est vers la fin du XVII
siècle, lorsque le commerce des vins du Douro vers l’Angleterre se développe, que les marchands commencent à ajouter du brandy à leurs vins, pour en assurer la stabilité lors du long voyage. Ces premiers vins fortifiés portugais étaient secs, puisqu’on ajoutait le spiritueux une fois la fermentation du vin terminée (quand tout le sucre était converti en alcool).C’est d’ailleurs un peu une idée reçue que les vins fortifiés sont toujours des vins sucrés. C’est en effet le cas du porto. On ajoute le spiritueux (selon la loi, un distillat de vin) en cours de fermentation, alors que tout le sucre n’est pas encore converti. L’ajout d’alcool arrête la fermentation (les levures qui transforment le sucre en alcool meurent en général au-delà de 16 % d’alcool), ce qui donne un vin sucré. Il en va de même pour de nombreux vins fortifiés, comme les banyuls et les maury français. Mais un vin fortifié peut aussi être sec : c’est le cas de certains vins de Marsala, de Madère ou de Xérès.
Et ils ne sont pas toujours rouges ! Même le porto se décline en blanc. D’ailleurs, un porto blanc allongé de tonic est un excellent cocktail estival.
Les vins blancs fortifiés les plus connus sont sûrement les vins doux naturels (VDN) du sud de la France tels le muscat de Rivesaltes ou le muscat de Saint-Jean-de-Minervois, et tous les autres vins fortifiés à base de muscat comme les excellents rapports qualité-prix que sont les moscatel de Setúbal (délicieux avec melon et prosciutto, entre autres) et ont l’avantage de bien se conserver (au frigo) une fois la bouteille ouverte. La combinaison d’un taux d’alcool plus élevé et d’une certaine charge en sucre les protège plus longtemps de la détérioration.
Un type de vin fortifié, blanc et sec, est particulièrement peu connu et sous-apprécié, parce qu’il est mal compris : les xérès. Ce sont pourtant des vins tout à fait délicieux et uniques dans leur capacité à accompagner plusieurs aliments considérés comme difficiles à marier.
Ces vins fortifiés d’Andalousie se déclinent en de très nombreux styles, qui vont du très pâle au très sombre, et du très sec au très, très sucré, ce qui peut porter à confusion.
Les plus secs, pâles comme de l’eau, sont les xérès fino, des vins blancs élaborés avec le cépage palomino. Une fois en fût (dans de vieilles barriques qui ne transmettent plus le goût du bois), et grâce aux conditions climatiques particulières de la région, ils développent à leur surface un voile de levures qui les protègent de l’oxydation. Cette
, comme on l’appelle en espagnol, permet au vin d’acquérir un caractère unique, avec des arômes très distincts qui rappellent la pelure de pomme verte, l’amande fraîche, la levure, les olives en saumure. Les meilleurs ont un caractère minéral assez prononcé (issus de sols calcaires comme en Champagne ou à Chablis) et parfois salin.Issus d’une région plutôt caniculaire, ils sont d’une fraîcheur surprenante malgré leur faible acidité. Et leur taux d’alcool avoisinant les 15 % ne leur confère aucune lourdeur : ils sont au contraire incroyablement fins et digestes.
Certes, ils demandent à être apprivoisés, mais ils n’ont pas de pareil pour accompagner tout ce qui est salé : olives et amandes salées, sardines et anchois, jamón ibérico et la plupart des jambons salés, huîtres fraîches, fromages de chèvre et fromages durs, de type manchego ou parmesan.
Contrairement aux xérès plus sucrés, ils sont à consommer rapidement. Au bout de deux ou trois jours, ils perdront beaucoup de leur fraîcheur. Servez-les frais mais pas froids, autour de 10 à 12 °C, dans un petit verre à vin blanc de forme tulipe (le verre INAO est idéal).
Surprenez vos amis la prochaine fois que vous recevez, et servez un xérès fino accompagné d’olives, nature ou farcies d’amandes ou d’anchois, de calmars frits ou grillés, de canapés aux sardines et aux poivrons rouges rôtis, de crevettes grillées. Discussions garanties !