Les lignes horizontales

Survol

Fais pas cette tête

Jean-Paul Beaumier

Druide, 144 pages

Mes textes de février et mars portent sur les œuvres finalistes au Prix littéraire des collégiens, dont j’ai le plaisir d’être le parrain d’honneur cette année.

Fais pas cette tête, de Jean-Paul Beaumier, est l’un des cinq titres sélectionnés, et le seul recueil de nouvelles. Je me suis dit que je n’allais quand même pas faire un survol des 17 nouvelles dans un texte de 800 mots… pour ensuite me dire que, oui, c’est exactement ce que j’allais faire. Quarante-sept mots par nouvelle, en moyenne. Bonne chance.

La lectrice : Un auteur qui n’a rien publié depuis des années croise une connaissance qui lui promet de le lire bientôt. L’embarras, le malaise, c’est la spécialité des connaissances. Dans la vie, un maximum d’amis, un maximum d’inconnus, mais un minimum de connaissances.

Fourrière : Un homme dans une relation de couple qui s’effrite se retrouve en panne en bordure d’une voie rapide. Notez qu’il est aussi possible d’être en panne dans une relation de couple et d’avoir une voiture qui s’effrite. Un choix difficile.

Le lait : Lors des absences de la mère, une fillette force son jeune frère à sentir du lait suri. Le jeune frère se vengera de façon spectaculaire et théâtrale. Quoi de mieux que de faire du gag avec les premières règles de sa sœur pour la traumatiser à vie !

Deux petits trous : À 5 ans, Léa en est à la grande étape de se faire percer les oreilles. Papa supervise l’opération, car maman n’est plus là. Je me suis attaché aux personnages en cinq pages davantage qu’à certaines connaissances en cinq ans.

Les yeux grands ouverts : Une partie de cachette de fin d’été tourne au drame. Mais au fond, une partie de cachette tourne toujours au drame ; le p’tit gros qui pleure parce qu’il ne trouve jamais personne et une cousine cachée trop loin qui tombe sur la pile de vieux Playboy.

Baiser à la fenêtre : Un couple qui habite le même immeuble depuis 30 ans observe l’arrivée de nouveaux voisins chaque printemps. La nouvelle édition leur réserve une surprise. J’eus, jadis, un voisin trompettiste adepte du cannabis qui répétait dans un nuage de fumée. J’imagine qu’inhaler dans un cornet de trompette rentabilise un investissement de pot.

Une courte liste : Madame demande à monsieur de lui dresser une liste de cadeaux pour son anniversaire. Monsieur n’a besoin de rien. Évitez de lire cette nouvelle le matin, car le passage sur le scotch donne envie d’en ouvrir une bouteille sur-le-champ. Et du scotch sur un estomac vide, aussi, rentabilise un investissement de scotch.

Nous : Une visite chez le médecin prend une tournure sombre après un « nous » mal placé. Si vous ne pouviez lire qu’une seule nouvelle, en cachette dans la librairie, car votre budget lecture est dépassé, allez-y pour celle-ci. Ensuite, allez-y pour un remaniement financier, le livre coûte 17,95 $…

Plaisir Sancerre : Romain, le nouvel amoureux d’Évelyne, lui fait changer complètement ses habitudes de consommation en l’entraînant dans la simplicité volontaire. Au début, on se dit qu’on devrait faire de même. À la fin, c’est un coup de poing simple et volontaire qu’on a envie d’envoyer à Romain.

Comme un gros chien tout chaud : Monsieur de Bellefeuille s’éprend d’une femme beaucoup plus jeune qui l’attend à son appartement un soir de printemps érable. Retard dû aux manifestations étudiantes bloquant la circulation. Je m’ennuie de ces embouteillages de 2012, où on se disait : je vais être en retard, mais j’approuve pourquoi…

Le bol à thé : Pour tenter de réparer son couple, Julien procure à Anne un bol à thé hors de prix qui finira éclaté dans le hall d’entrée. Symbolique, car les relations, quand on y pense, se brisent dans un hall d’entrée. Combien de fois avez-vous dit adieu dans le cabanon ?

Quand on aime… : Un élève doit rédiger un texte de 900 mots sur le thème « Aimer était une malédiction ». L’élève venant d’être laissé par sa copine, et ce, par texto, les mots seront longs à venir. Je serais en faveur d’une éventuelle acceptation sociale des ruptures par texto, parce que les larmes de hall d’entrée, à un moment donné…

Les volets : Noyade, vertiges, peur de devenir folle. Celle-là se lit d’un souffle et n’est pas la plus souriante du groupe. À la fin, on reste fixé à la dernière phrase, elle a l’air fâchée. Et on ne passe pas à l’autre nouvelle tout de suite. On prend une pause. On respecte la phrase fâchée.

Le trou : Il est ici question d’un professeur de littérature en fin de carrière accueillant un nouveau groupe en début d’année. Pourquoi ai-je oublié le nom de tous les gens qu’on m’a présentés cette semaine, mais je me souviens par cœur du prénom de mes six professeurs du primaire ?

Nouveauté : Un homme est à demi attentif à la conversation avec sa femme pendant la lecture de son journal. Je suis moi-même à demi attentif en ce moment, car j’ai trop envie de nommer mes profs du primaire : Francine, Dorothée, Sonia, Gisèle, Lise, Henriette (dans l’ordre, en plus).

Objets abandonnés : Tourne autour d’un roman de Paul Auster et d’un projet de retraite. Je suis un fan fini de Paul Auster (au début, j’étais un fan commencé) et en cette pénible fin d’hiver, je suis aussi un fan fini de retraite… Me suis beaucoup retrouvé dans Objets abandonnés

Femme à la fenêtre : On ne souhaiterait à personne par contre de se retrouver dans Femme à la fenêtre, l’histoire d’une mère en deuil de deux de ses trois enfants, morts tragiquement.

En digérant l’ensemble du recueil, il est clair, si on se rapporte à cinq des nouvelles, qu’aimer est en effet une malédiction. Mais ça donne de bonnes histoires.

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