Opinion : La laïcité en débat

Et si on laissait le choix aux villes ?

Le Québec n’est pas une société homogène, ni sur le plan ethnique ni sur le plan territorial. Le législateur a le devoir, ne serait-ce que par simple règle de sagesse, d’en tenir compte, encore plus lorsqu’il s’agit de législation où, de toute évidence, les opinions et les besoins divergent sur le territoire et entre populations.

C’est manifestement le cas du projet de loi 21 sur la laïcité, actuellement devant l’Assemblée nationale du Québec. Loin de faire consensus, le projet de loi dans sa mouture actuelle risque plutôt d’exacerber les divisons entre Québécois. Il n’est pas nécessaire de citer les réticences exprimées par la mairesse de Montréal ou encore les énoncés de certaines commissions scolaires de l’île de Montréal, sans même parler des réactions enflammées de certains maires de l’île, pour se rendre compte que l’application de cette loi, si elle est adoptée telle quelle, ne se fera pas sans heurts.

Or, la loi 122, votée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2017, est un bel exemple de compromis possible, permettant de tenir compte des conditions particulières des villes du Québec.

Cette loi, appuyée à l’époque par les maires des deux grandes villes du Québec, accordait aux municipalités la possibilité d’abroger le droit aux référendums locaux pour l’approbation des changements majeurs de zonage ; mais à condition de remplacer les référendums par d’autres mécanismes de consultation populaire. Depuis, plusieurs villes, dont la métropole, ont effectivement mis en place de nouveaux mécanismes de consultation propres à leurs besoins ; tandis que d’autres ont choisi de garder le recours au référendum. Le gouvernement a sagement évité le piège d’une loi « mur à mur », et il faut s’en féliciter.

Un compromis

J’invite le gouvernement Legault à s’inspirer de la loi 122. D’abord, limiter l’application de l’interdiction des signes religieux aux corps directement sous l’autorité provinciale (police, gardiens de prisons, juges…). Ensuite, pour les corps locaux (police, enseignants…), proposer un choix aux villes et commissions scolaires :  (a) appliquer l’interdiction comme à l’échelle provinciale ou (b) s’y soustraire, mais à condition de la remplacer par un autre mécanisme pour assurer le caractère laïque du service. Je pense par exemple à un engagement formel de l’agent (ou enseignant) d’exercer ses fonctions dans le respect du caractère laïque de l’État québécois ; mais d’autres formules sont sans doute possibles.

Qui connaît mieux que les acteurs locaux les réalités de leur terrain ? Cette solution n’est certes pas idéale. Mais, devant l’intention ferme du gouvernement de légiférer en la matière (je ne me prononce pas sur l’opportunité de la loi ; c’est un autre débat), elle aurait au moins le mérite, du moins je l’espère, d’éviter des affrontements douloureux dont le Québec pourrait bien se passer.

OPINION : LA LAÏCITÉ EN DÉBAT

Un accommodement raisonnable légitime

C’est l’État qui est laïque, comme le dit clairement le projet de loi présentement à l’étude à l’Assemblée nationale du Québec. Et donc aussi ses politiques, ses institutions ; mais pas ses citoyens.

La laïcité de l’État et sa neutralité par rapport aux religions doivent être visibles chez ceux qui, en divers lieux ou services et institutions, sont des représentants de l’État.

D’où la pertinence, voire la nécessité d’interdire aux REPRÉSENTANTS de l’État d’afficher des signes de quelque appartenance religieuse que ce soit. Cela est tout à fait cohérent et n’a rien d’outrancier ni d’antireligieux ni même de discriminatoire.

Il n’est en effet demandé à personne de renier sa foi ni de renoncer à ses croyances ni de cesser d’aller au temple de sa confession… Il est toutefois exigé des représentants de l’État laïque de visibiliser la neutralité de celui-ci en ne signifiant d’aucune façon leur allégeance religieuse et leurs croyances personnelles LORSQU’ILS SONT EN FONCTION. Il s’agit simplement, cette fois de la part de l’État pour ses représentants seulement et dans les limites de leur « représentation », d’une exigence d’accommodement raisonnable de la part de croyants de diverses confessions religieuses – auxquels il a par ailleurs été consenti, dans certains cas, des accommodements raisonnables et tout à fait légitimes. Celui que demande ici l’État est également légitime.

Aucune ségrégation n’est ici pratiquée et personne n’est exclu d’un poste ou d’une fonction à cause de sa religion ou de ses croyances.

Un chrétien peut porter une croix au cou ou sur sa veste, un juif une kippa, une musulmane un niqab… chez lui ou chez elle, au temple, dans la rue, partout, professant alors sa foi. Ils doivent simplement retirer ces signes lorsqu’ils représentent l’État. Il n’est pas demandé au comédien d’être Néron quand il en joue le rôle au théâtre.

Il suffirait, disent certains, d’interdire tout prosélytisme. Mais tout signe est forcément signifiant et, dès lors, dit quelque chose, parle, « prêche » (dit : « selon moi, il est mieux de… »).

Si, d’ailleurs, quelqu’un estime ne pas pouvoir renoncer à porter ce signe même le temps où il est « en service » de représentation seulement, c’est précisément parce que ce signe est signifiant, sans quoi il s’en abstiendrait aisément, et donc disant, prêchant, qu’on le veuille ou pas.

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