Chronique

Soyons Malala

Magnifique nouvelle au réveil hier. Malala Yousafzai, celle que tout le monde appelle simplement Malala, a reçu le prix Nobel de la paix du haut de ses 17 ans. Elle est la 16e femme à recevoir ce prix, depuis sa création. Quel choix émouvant. Quel personnage plus grand que nature.

J’ai tout de suite relayé l’annonce à ma grande ado qui tardait à ouvrir l’œil. Une bien bonne raison de se lever, lui ai-je dit. Me suis-je dit. Pour essayer peut-être, comme Malala, de changer le monde une indignation à la fois.

La cause de Malala est fondamentale. L’accès des jeunes femmes à l’éducation.

Vous connaissez son histoire ? Pakistanaise vivant dans la vallée de Swat, une de ces zones sous l’œil des talibans, elle a commencé à militer pour le droit d’aller à l’école alors qu’elle avait à peine 11 ans. Puis, à 15 ans, il y a donc pratiquement deux ans, jour pour jour, des monstres sont embarqués dans son autobus scolaire et ont demandé : « Qui est Malala ? »

« Je suis Malala », a-t-elle répondu.

Ils ont alors tiré sur elle.

Transférée dans un hôpital britannique, elle s’en est sortie.

Si nos ados savaient combien elles sont chanceuses de pouvoir aller à l’école.

Si, chaque matin, on pouvait leur rappeler que des milliers et des milliers de jeunes femmes dans le monde n’ont même pas ça…

Si, chaque matin, elles se rappelaient que les deux tiers des analphabètes dans le monde sont des femmes, une statistique qu’on ne peut pas accepter. Révoltante. Qui n’a pas bougé depuis 20 ans.

Juste pour rendre hommage à ces victimes de toutes sortes de sociétés qui ne respectent pas les femmes, il ne faut pas être en retard pour le premier cours.

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Au Québec, les femmes ont dû se battre aussi pour avoir accès à l’enseignement, mais surtout l’enseignement supérieur, dernier bastion longtemps réservé aux hommes. Ces batailles, toutefois, ont eu lieu au début du siècle dernier ! On pense à Irma Levasseur, première femme québécoise diplômée en médecine en 1900, qui a dû aller faire ses études aux États-Unis parce qu’ici, c’était interdit aux femmes et qui a dû, aussi, obtenir une permission spéciale pour pouvoir pratiquer.

Ma grand-tante, Fernande Richer Bell, faisait partie de cette première cohorte de pionnières. Elle, c’est à Toronto qu’elle est allée chercher son éducation, pour revenir ensuite à Montréal fonder un cabinet de pratique privée, le premier alors tenu par une médecin. Elle y soignait des prostituées et des « filles mères », les seules qui acceptaient alors d’être soignées par une femme.

Incroyable, le chemin parcouru, quand même. Dire que maintenant, les femmes occupent plus de 60 % des places dans les facultés de médecine.

Cela ne veut pas dire qu’ici, il n’y a plus rien à changer. Pas du tout. Il y a encore beaucoup à faire ! Par exemple, l’ancienne astronaute Julie Payette, aujourd’hui directrice du Centre des sciences de Montréal, le rappelait récemment en entrevue, il y a encore trop de secteurs en sciences où les filles sont sous-représentées. À Polytechnique Montréal, par exemple, où on forme les ingénieurs, seulement 22 % des étudiants sont des femmes.

Certains sous-secteurs deviennent plus équitables, certains types de génie, comme le génie chimique, par exemple, mais les progrès sont lents. Et le monde de l’éducation compte encore son lot de bastions traditionnels où les femmes sont surreprésentées – enseignement primaire, par exemple, les soins infirmiers, etc.

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Je faisais récemment une recherche sur l’éducation, et une autre statistique a retenu mon attention. Une étude britannique publiée en 2009 a démontré que les filles qui étudient dans des écoles réservées aux filles ont de meilleurs résultats que celles qui vont dans des établissements mixtes. Plus précisément, ce sont les écoles réservées aux filles qui permettent aux élèves ayant de la difficulté à l’école d’accomplir le plus grand progrès.

Cette statistique est intéressante parce qu’elle identifie un outil, une voie possible pour aider les filles qui ont un peu plus de difficultés d’apprentissage sur le chemin de l’éducation supérieure.

Cette étude, le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, devrait aller la relire avant de mettre de l’avant cette idée – rumeur qui court depuis un moment – de réduire de moitié les subventions aux écoles privées québécoises.

Je ne reviendrai pas sur l’absurdité économique de cette idée. Mon collègue Alain Dubuc a déjà démontré bien clairement que pour que l’État économise de l’argent, il faudrait qu’il n’y ait pratiquement pas de transfert d’élèves au public à la suite de l’augmentation des droits de scolarité du privé qui découlerait de la diminution des subventions. Or on sait tous que ce ne serait pas le cas.

Les familles qui envoient leurs enfants à l’école privée au Québec ne sont pas toutes des familles hyper nanties qui peuvent encaisser des augmentations de frais sans broncher. La beauté du système privé québécois hybride est qu’il est beaucoup moins élitiste que les autres systèmes privés en Amérique du Nord.

Et c’est aussi dans ce système que se trouve la majorité des écoles réservées aux filles ou aux garçons.

Je ne crois pas que la non-mixité soit la solution parfaite pour tout le monde.

Mais il est important que cette option soit offerte aux parents et aux élèves qui la désirent, pour les raisons évoquées par la recherche britannique.

Que l’on garde cette porte ouverte.

Voulez-vous me dire pourquoi, monsieur le ministre Bolduc, vous voulez mettre sens dessus dessous un système qui fonctionne ? Pour réparer un autre – le public – qui ne marche pas bien ?

Vous croyez vraiment qu’il faut risquer de mettre en péril ce qui roule pour, peut-être, sans garantie aucune, réparer une école publique dont on sait très bien que ses problèmes sont beaucoup plus vastes que le simple manque de financement ?

Et si, à la place, on s’inspirait de Malala pour tout simplement célébrer l’ouverture et l’équité de notre société et trouver des façons originales, créatives, d’aider sans nous ruiner le système d’éducation au complet, dans toute sa bénéfique diversité, pour faire des citoyens de demain encore plus éclairés que nous, qui sauront nous mener vers mieux ?

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