Chronique

La réforme mal barrée du Dr Barrette

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, avec le projet de loi 20, a lancé une grande offensive pour forcer les médecins omnipraticiens à travailler davantage et à voir plus de patients. Après la carotte, les mesures incitatives pour les convaincre de faire plus, c’est le bâton, les pénalités pour ceux qui ne seraient pas à la hauteur.

C’est une bataille que le Dr Barrette a menée depuis longtemps, d’abord comme président de la Fédération des médecins spécialistes, ensuite comme candidat défait de la CAQ. Elle repose sur des éléments vérifiables : le fait qu’il y a plus de médecins par habitant au Québec qu’ailleurs au Canada, que ceux-ci travaillent toutefois moins de jours et posent moins d’actes. Il suffirait donc de les faire travailler autant que leurs collègues canadiens pour résorber la pénurie de médecins.

Est-ce que ça va fonctionner ? C’est loin d’être évident. La réforme Barrette risque d’avoir tellement d’effets négatifs qu’elle pourrait mener au résultat contraire et nous éloigner du but recherché, l’accès à un médecin de famille. 

On ne gère pas des humains et un système complexe comme celui de la santé avec des règles de trois.

Ici comme dans les autres sociétés avancées, la façon dont les médecins sont payés aura une influence sur la façon dont ils exercent leur profession. C’est donc un processus normal de jouer sur les modes de rémunération pour modifier la pratique médicale, en quantité ou en qualité.

Ces efforts sont toutefois plus difficiles à atteindre au Canada et au Québec en raison du statut des médecins dans notre système de santé. Plus que presque partout ailleurs en Occident, les médecins québécois sont des professionnels indépendants, qui ne sont pas des employés de l’État. Ils fournissent des services pour lesquels ils sont surtout payés à l’acte, dans une proportion de 75,5 %. C’est un statut unique qui donne aux médecins une énorme latitude pour choisir la forme et l’intensité de leur pratique. Mais en même temps, ils jouissent d’une grande sécurité, puisqu’ils ont un client unique, l’État, et qu’ils peuvent même déterminer le niveau de revenus qu’ils désirent obtenir.

Avec ce statut unique, des phénomènes de société, comme le désir de plusieurs femmes ou d’un nombre croissant d’hommes de consacrer moins de temps au travail, s’expriment avec plus de force, parce que les médecins n’ont pas d’employeurs qui peuvent les contraindre à un horaire. En plus, la hausse importante de leurs revenus depuis 10 ans leur permet d’avoir un bon salaire tout en travaillant moins que le commun des mortels.

C’est le rôle d’un ministre de trouver des façons d’infléchir cette tendance et de rappeler aux médecins que la pratique de leur profession comporte aussi des obligations. Mais cela sera impossible sans un minimum de collaboration des omnipraticiens eux-mêmes.

Cette collaboration sera difficile à obtenir, on l’a vu ce week-end avec la réaction très vive de la Fédération des médecins omnipraticiens. D’abord parce que le ministre, un médecin spécialiste, a épargné les spécialistes et s’est attaqué aux généralistes et aux pharmaciens avec ce qui ressemble étrangement au mépris traditionnel des médecins spécialistes pour les autres professionnels de la santé. Ensuite parce que le ministre semble traiter la médecine familiale comme du travail à la chaîne.

Plus profondément, je ne vois pas comment on pourra augmenter l’accès aux médecins de famille et développer la première ligne sans sortir du cadre traditionnel de la rémunération à l’acte et penser à d’autres modes, comme la capitation.

En définitive, cette réforme, peut-être attrayante sur papier, risque d’être compromise par une foule d’effet pervers, en rendant la médecine familiale moins attrayante pour les jeunes diplômés, ou en poussant des médecins à prendre leur retraite ou à passer au privé.

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