protonthérapie contre le cancer

Barrette hésite entre le privé et le public

Après s'être montré favorable à l'implantation d'une clinique privée de traitement du cancer par protonthérapie, le ministre de la santé Gaétan Barrette change son fusil d'épaule. Il a commandé une analyse d'un projet public similaire, au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), ce qui remet en question le projet privé. 

À la fin du mois d’août, le Groupe CDL a annoncé un « accord » avec le ministère de la Santé pour la construction de la première clinique canadienne de protonthérapie à Montréal. 

Des médecins de l’Université McGill, qui ont alors dévoilé qu’ils travaillaient depuis 10 ans sur cette nouvelle technologie anticancer, ont par la suite critiqué ce choix de se tourner vers le privé.

« Il n’y a pas encore d’entente signée avec CDL », a indiqué Catherine W. Audet, attachée de presse du ministre Barrette, dans un courriel envoyé à La Presse. « Toutefois, nous avons signifié notre intention de collaborer à ce projet, tout en les informant que certaines conditions devaient être respectées. » 

« Le ministre n’était pas au courant du projet du CUSM. Nous avons demandé une analyse du projet lorsqu’il a été porté à notre attention. »

— Catherine W. Audet, attachée de presse du ministre Gaétan Barrette

Dans la radiothérapie classique, qui touche la moitié des patients en oncologie, des rayons X sont envoyés sur la tumeur, mais ces rayons traversent le corps de part en part. Les rayons de la protonthérapie s’arrêtent sur la tumeur, ce qui signifie qu’on évite d’irradier des organes sains. Elle est surtout utilisée pour les enfants, puisque les risques de cancer liés à la radiothérapie ne deviennent importants que plusieurs décennies après le traitement.

des frais moitié moins élévés

Le projet annoncé le 22 août consiste en une clinique privée, le Centre de protonthérapie CDL, qui traiterait à partir de 2020 des patients couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) devant actuellement aller aux États-Unis aux frais de la RAMQ. L’investissement de 70 millions nécessaire pour la construction de la clinique serait assumé par CDL, qui a promis que les frais pour la RAMQ seraient moitié moins élevés qu’actuellement. La quinzaine de Québécois qui reçoivent chaque année de la protonthérapie aux États-Unis coûtent en moyenne 250 000 $ chacun à la RAMQ. Le Groupe CDL a des cliniques de tests médicaux et une quinzaine de cliniques médicales au Québec.

Lors de l’annonce du projet, le Dr Barrette a indiqué à La Presse qu’« il n’y a pas lieu de construire une installation coûteuse qu’on ne pourra pas rentabiliser » pour expliquer pourquoi le Ministère acceptait d’envoyer les patients de la RAMQ à la clinique du Groupe CDL. Lorsque La Presse lui a demandé de commenter le rejet du projet du CUSM, le 28 août dernier, son attachée de presse, Mme Audet, a répondu : « Nous n’accorderons pas d’entrevue à nouveau sur ce sujet que nous avons déjà couvert avec vous. » Le directeur général du CUSM, Pierre Gfeller, a indiqué à La Presse avoir été informé par le Ministère du choix de programme la veille de l’annonce du Groupe CDL, selon la coordonnatrice des communications du CUSM, Gilda Salomone.

évolution du nombre de patients

Le projet de protonthérapie du CUSM a eu deux versions : une première qui n’a pas été retenue par le Ministère en 2008 et une autre qui a été déposée il y a quelques mois. Le budget était de 40 à 50 millions, dont la moitié aurait été financée par la Fondation canadienne pour l’innovation et l’autre, par des fondations des hôpitaux de McGill.

Au cœur du débat est l’évolution du nombre de patients. Si la protonthérapie était aussi utilisée au Québec qu’aux États-Unis, 250 patients en recevraient chaque année. La capacité du projet du CUSM était justement de 250 patients par année, pour des coûts d’exploitation de 5 millions. Si le nombre de patients québécois n’augmente pas, le projet du groupe CDL est deux fois moins cher par patient que le projet du CUSM. Mais si la protonthérapie devient aussi populaire qu’aux États-Unis, le coût par patient du projet du CUSM est de cinq à six fois moins élevé.

Un rapport de 2017 de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui évalue le rapport coûts-avantages des nouveaux traitements, avançait le chiffre de 119 patients par année. Martin Jermann, secrétaire général du Particle Therapy Co-Operative Group, association établie en Suisse, a indiqué à La Presse que de 50 à 300 patients par million d’habitants devraient utiliser la protonthérapie, soit entre 400 et 2400 par année pour le Québec.

« Il est très difficile de prévoir l’évolution de la protonthérapie », explique Thomas Bortfeld, spécialiste de la radiothérapie à l’Université Harvard, qui était à Montréal la semaine dernière pour un congrès de ce domaine.

« On estime que 10 % des patients qui reçoivent de la radiothérapie devraient plutôt avoir de la protonthérapie, pour diminuer les radiations sur les organes sains. Ça veut dire qu’au Canada, il devrait y avoir 28 centres de protonthérapie. »

— Thomas Bortfeld, spécialiste de la radiothérapie à l’Université Harvard

« Mais en ce moment, on est loin de ça, très loin. Il faut que les coûts de l’installation des équipements baissent plus rapidement que ce qu’on a vu ces dernières années. Mais si les associations de patients se mettent à réclamer la protonthérapie, ça pourrait aller très vite. »

Plusieurs études sont en cours pour évaluer si la protonthérapie diminue les effets négatifs de la radiothérapie pour des cancers adultes. « On a espéré que ça serait le cas pour le cancer de la prostate, où la radiothérapie a beaucoup d’effets secondaires immédiats, mais pour plusieurs raisons, ça n’a pas été le cas, dit M. Bortfeld. Le prochain gros dossier sera le cancer du sein. La radiothérapie a des effets négatifs sur le fonctionnement du cœur dans certains cas. On étudie aussi le sarcome. » Au congrès de Montréal, un collègue de M. Bortfeld, Thomas Delaney, a présenté plusieurs études en cours sur la protonthérapie pour le sarcome, un type de cancer représentant 1 % des cas chez les adultes. Une autre collègue de Harvard, Shannon MacDonald, a expliqué à La Presse que deux études sont en cours pour évaluer la protonthérapie pour le cancer du sein.

La protonthérapie en chiffres

250 000 $

coût par patient traité aux États-Unis pour la RAMQ

125 000 $

coût par patient au Centre de protonthérapie CDL

42 000 $

coût par patient selon le guide de remboursement du programme américain d’assurance maladie pour les aînés Medicare

20 000 $

coût par patient estimé pour le projet du CUSM, avec 250 patients par année

De 52 000 $ à 78 000 $

coût par patient en Suisse

Sources : Groupe CDL, INESSS, Bioengineering Today, PTCOG

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