Escalade
Sophiane Bertrand

Araignée et leggings troués

Ils ont encore les deux pieds dans l’enfance, et déjà, ils se distinguent dans leur sport. Portraits de jeunes passionnés.

LA PRAIRIE — Depuis qu’elle a 5 ans, le quotidien de Sophiane Bertrand, 12 ans, est fait de mousquetons, de baudriers, de prises, de blocs. De poudre de magnésie aussi. Il y en a en quasi-permanence sur ses doigts, dans l’air qu’elle respire, dans les rêves auxquels elle aspire.

« On ne peut pas m’enlever l’escalade. C’est en moi, c’est toute ma vie, dit la jeune athlète. J’ai toujours aimé grimper. »

— Sophiane Bertrand

À la fin de mai, la grimpeuse de Gatineau en était à sa seconde participation aux Championnats canadiens, qui se déroulaient à La Prairie. Dans son groupe d’âge (junior C, 12-13 ans), elle a terminé troisième à l’épreuve de vitesse et deuxième à l’épreuve de difficulté. « Il faut absolument que je termine sur le podium », nous avait-elle dit lors des qualifications, lançant un regard insistant vers son père.

« On a fait un marché : si j’ai une médaille, j’aurai droit à Instagram », a-t-elle précisé en tapant des mains. Éric Bertrand accompagne toujours sa fille, l’aînée de trois enfants, lors de ses compétitions. « On passe de beaux moments père-fille. On forme une équipe, je la soutiens, je l’encourage. »

Haute comme trois pommes

Sophiane a découvert l’escalade par hasard, à 5 ans, lors d’une fête de famille organisée dans un gymnase d’école. « Elle avait passé la soirée à grimper sur un mur d’escalade, les mouvements semblaient naturels. Elle a demandé de suivre des cours », raconte M. Bertrand.

Après deux ans de cours du dimanche, son entraîneur lui a demandé de rejoindre l’équipe de compétition… à 7 ans ! « Au début, elle était tellement petite qu’elle devait demander de l’aide pour atteindre la prise de départ. Un responsable devait la prendre dans ses bras pour la placer », se rappelle sa mère, Caroline Larose.

La jeune fille a grandi. Sa passion aussi. En 1re secondaire, elle est inscrite au programme sport-études de l’école Mont-Bleu. Elle s’entraîne au moins 15 heures par semaine et participe à une vingtaine de compétitions par année. « Des fois, je suis essoufflée. L’école est loin, il m’arrive de manger dans l’autobus, je dois faire mes devoirs et je ne suis jamais couchée avant 21 h 30 », confie Sophiane.

« Je grimpe tellement souvent que mes mains brûlent, j’ai mal partout. Mais l’escalade, c’est là où je me sens bien. Je m’amuse avec mes amis. Je ne pense à rien, je décroche complètement. »

— Sophiane Bertrand

Il n’y a que la pêche au brochet, avec son grand-papa, qui peut lui procurer une telle sensation en dehors de l’escalade, souligne son père.

Rêve olympique

À la fin de la dernière saison, Sophiane est arrivée en tête du circuit provincial. Elle aborde les compétitions sans stress, dit-elle. « Je m’imagine le pire, par exemple que je tombe à la première dégaine [point d’ancrage]. J’étudie mes adversaires, j’essaie de voir comment elles entreprennent la voie. Dans l’isoloir, avant de grimper, je me concentre en silence. » Elle apprend à être moins exigeante envers elle-même, peu à peu.

L’adolescente a son rituel auquel elle ne déroge que rarement. Elle attache ses cheveux en chignon et elle porte toujours les mêmes leggings au cours d’une saison. « Même si je grandis et qu’ils sont trop petits, même s’ils sont troués », dit-elle en montrant son pantalon déchiré sur un genou.

Son rêve ? Participer aux Jeux olympiques. Pas en 2020, elle sera trop jeune. En 2024, précise-t-elle. Pour se motiver, elle regarde les prouesses de son idole Alex Puccio, une grimpeuse professionnelle spécialisée dans l’escalade de bloc. « Elle est tellement bonne, malgré les opérations qu’elle a eues. » Ce détail n’est pas anodin aux yeux de Sophiane qui sera elle-même opérée cet été pour une blessure à un genou. Elle croise les doigts.

Elle rêve de grimper toute sa vie. Elle veut devenir pompière, comme son père, comme son grand-père. Et faire des sauvetages en hauteur au sein de l’équipe spécialisée « araignée ». Est-on vraiment surpris ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.