La Presse en Floride  Manufacturier avancé

Un pari de

130 millions US

KISSIMMEE, Floride — La route qui mène d’Orlando à Kissimmee n’a rien de bucolique. À intervalle régulier, d’immenses panneaux annoncent la direction vers les parcs thématiques de Disney – la principale attraction de la région. Une fois dans la rue principale, aux allures de village western, les concessionnaires de voitures d’occasion alternent avec les restaurants de fast-food. L’ambiance évoque tout sauf la haute technologie.

C’est pourtant ici, en plein centre de la Floride, que se trame l’un des plus ambitieux projets technos de l’heure aux États-Unis. Un consortium composé d’universités, d’organismes publics et d’entreprises a consenti plus de 130 millions US pour construire un centre de recherche à la fine pointe. La première phase comprendra aussi une usine qui fabriquera des micropuces de nouvelle génération.

« Normalement, construire un immeuble de cette taille devrait prendre entre 36 et 42 mois, mais on nous en a donné moins de 24 », explique avec enthousiasme – et un léger stress – Pete Pace, directeur de la construction du comté d’Osceola, où le chantier bat son plein.

Autour de nous, des dizaines d’ouvriers s’activent sous un soleil de plomb en ce matin chaud et humide typique du centre de la Floride. La structure du premier bâtiment commence à prendre forme, mais il est encore bien difficile d’imaginer à quoi ressemblera le futur complexe technologique. À terme, il devrait employer des milliers de personnes et s’étaler sur un espace marécageux grand comme 20 terrains de football, autrefois occupé par une ferme laitière.

LE MOMENT IDÉAL

L’échéancier très serré donné aux constructeurs du nouveau centre – appelé International Consortium for Advanced Manufacturing Research, ou ICAMR – n’a rien de fortuit. La Floride a lancé un vaste programme pour diversifier son économie au cours des dernières années, et le secteur du « manufacturier avancé » (pour advanced manufacturing) en fait partie intégrante.

« Pourquoi vouloir aller si vite ? Parce que c’est maintenant qu’il faut agir. »

— Chester Kennedy, président et chef de la direction d’ICAMR

M. Kennedy espère positionner sa région comme un centre mondial de la production de capteurs de nouvelle génération. Ces micropuces sont utilisées dans une foule d’appareils comme les téléphones intelligents (qui en contiennent 24 en moyenne), les équipements médicaux ou encore les systèmes de sécurité. Le marché mondial pour cette technologie devrait atteindre 19 000 milliards US en 2020, selon une étude de Cisco.

Le projet d’ICAMR se veut une suite logique au phénomène du rapatriement industriel (reshoring), qui a vu plusieurs multinationales rapatrier leur production de l’Asie vers les États-Unis – et dans certains cas le Canada – au cours des dernières années.

« On est sur le point de voir émerger une nouvelle génération de puces, et on se positionne pour être à l’avant-garde de cette prochaine génération, dit Chester Kennedy. On ne veut pas avoir à rapatrier la production d’Asie. On veut plutôt que la prochaine génération soit construite ici en premier lieu. »

RÉPARER LE PASSÉ

Il faut dire que la Floride, avec son économie traditionnellement basée sur le tourisme, l’agriculture et l’immobilier, a vu lui passer sous le nez une belle occasion d’affaires techno au tournant des années 90. À l’époque, un consortium public-privé, appelé SEMATECH, s’est formé en vue de stimuler la recherche dans le secteur des semi-conducteurs et autres micropuces. Orlando avait été considéré, mais la ville texane d’Austin a finalement remporté la mise.

Le projet s’est révélé un vif succès, et il a contribué à faire exploser l’économie d’Austin. Depuis le lancement de SEMATECH, les retombées économiques s’élèvent à plus de 25 milliards US, selon certaines estimations. Plus de 36 000 emplois de haut niveau ont été créés à Austin et Albany, où le groupe a par la suite déménagé ses pénates.

« Il y a des leaders du monde des affaires qui n’ont jamais digéré le morceau ici, quand ils ont vu le développement qu’il y a eu à Austin. »

— Chester Kennedy

Le nouveau complexe d’ICAMR de Kissimmee, à un jet de pierre de l’aéroport d’Orlando, vise à permettre une commercialisation très rapide des percées scientifiques qui seront réalisées ici. Les dirigeants du projet espèrent créer un cercle vertueux, qui incitera d’autres centres de recherche et entreprises privées à venir s’y installer. Les multinationales technologiques Harris et Imec ont déjà sauté dans l’aventure, et la porte est toute grande ouverte à d’autres partenariats.

« CONSTRUISEZ ET ILS VIENDRONT »

Même s’il est encore embryonnaire, le projet d’ICAMR suscite déjà de vastes espoirs pour la relance du secteur manufacturier floridien. L’État compte aujourd’hui 18 000 entreprises de fabrication, qui emploient 317 000 personnes, selon un rapport de l’organisme Florida Tax Watch. Cela équivaut à seulement 4,2 % de tous les emplois de l’État, où les investissements manufacturiers demeurent inférieurs à la moyenne nationale.

Florida Tax Watch, qui est loin d’être un grand partisan des dépenses publiques frivoles, salue l’investissement initial de plus de 100 millions qui sera réalisé à Kissimmee. Le groupe reprend dans son étude un adage populaire – « construisez-le et ils viendront » –, en insistant sur le succès de projets similaires, dont SEMATECH.

Si les plans d’ICAMR se déroulent comme prévu, quelque 20 000 emplois pourraient être créés pendant la prochaine décennie en Floride. Cela se traduira par des bénéfices de 1,1 milliard US pour l’économie locale, avance Florida Tax Watch. L’accès à des installations à la fine pointe de la technologie bénéficiera aussi aux étudiants universitaires de la région, qui pourront en parallèle alimenter la nouvelle industrie des semi-conducteurs avec des découvertes plus nombreuses. Et avoir accès à des emplois de qualité une fois diplômés.

« Le comté d’Osceola est l’un des plus pauvres de Floride, et aussi celui ayant le plus faible taux de diplômés universitaires, observe Chester Kennedy, président d’ICAMR. Il s’agit ici de créer un avenir pour les jeunes. »

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