Chronique

Sales temps sur les marathons

L’ami Antoine cherchait un endroit pour aller décrocher un temps de qualification pour le marathon de Boston. Son choix s’est arrêté sur Edmonton, le 18 août.

La température moyenne au départ matinal de ce parcours plat tourne autour de 10 ºC.

Plat, frais, ennuyeux… Que demander de mieux ?

Le samedi, il a commencé à m’envoyer des photos de la ville. C’est à peine si on voyait le soleil percer à travers le smog. Les vents soufflaient des particules fines venues des incendies de forêt du nord de la Colombie-Britannique. L’air était irrespirable. Si le vent ne tournait pas, le marathon devrait être annulé.

Le vent a tourné dans la nuit de samedi à dimanche, l’air s’est éclairci, Antoine s’est qualifié et tout est bien qui finit bien.

Mais des épisodes climatiques étranges qui ont parsemé nos vies de coureurs, celui-là était inédit. Canicule de printemps ou d’automne, déluge glacial à Boston, d’accord, mais la fumée à vous piquer les yeux, c’est original, faut avouer.

Les incendies de forêt n’ont rien de nouveau. Ni les températures extrêmes un jour donné. On ne peut pas isoler une journée hors normes comme preuve du dérèglement climatique.

Sauf que les incendies sont plus fréquents, plus violents. Les extrêmes aussi. Et globalement, le temps se réchauffe.

Les images du marathon de Venise, le dimanche 28 octobre, avaient un côté comique : les marathoniens ont franchi les derniers kilomètres dans 25 cm d’eau par endroits. Évidemment, « trop d’eau à Venise », c’est comme dire trop de soleil en Arizona. Sauf qu’il s’agissait d’un de ses records historiques d’inondation. Les climatologues prédisent que le phénomène sera de plus en plus fréquent.

L’ouragan Sandy a forcé l’annulation du marathon de New York en 2012. Celui de Chicago a été interrompu en plein milieu à cause des températures extrêmes, en octobre 2007. Les coureurs québécois se souviennent que les organisateurs de celui de Montréal avaient annulé la course – sauf le demi – en 2017, vu les 30 ºC annoncés.

Bref, ces épisodes anecdotiques s’accumulent comme des indices d’un dérèglement du climat. Pour les spécialistes, ils ne sont pas anodins, mais témoignent au contraire de la crise.

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Un biologiste de Boston University, Richard Primack, a mesuré une hausse moyenne de 1,6 ºC de la température entre les marathons de Boston de 1933 et 2004. Des scientifiques ont observé le même genre de hausse ailleurs, mais il se trouve que le professeur Primack est aussi un coureur, d’où son intérêt combiné pour les changements climatiques et la course à pied.

Tout coureur amateur sait combien la chaleur peut avoir un impact sur la performance. Les mécanismes de régulation de la température interne sont affectés, les battements cardiaques augmentent et épuisent l’athlète prématurément. La même règle vaut évidemment pour les coureurs d’élite. Dans un article du Runners World, Primack disait récemment que pour chaque augmentation de 5,6 ºC de la température, le temps victorieux augmentait de deux minutes.

Le marathon, comme tous les sports d’endurance, est climato-sensible. On s’attendait l’an dernier à ce que le Kényan Eliud Kipchoge batte le record du monde à Berlin. Mais 2017 était relativement chaud et humide, et il a fallu attendre 2018.

Les organisateurs des Jeux olympiques de Tokyo 2020 songent à déplacer le départ du marathon à 5 h 30, tant ils craignent le temps chaud.

Car en plus de l’augmentation moyenne des températures maximales, on observe une augmentation des températures minimales. Autrement dit, la nuit ne fournit plus autant d’air frais…

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Il va de soi que l’impact des changements climatiques sur les loisirs et les performances sportives est une des conséquences les moins graves des changements climatiques. Les travailleurs de la construction ou agricoles paient le prix des étés brûlants.

Mais ces voyageurs qui transportent leurs foulées d’une ville à l’autre pour courir commencent à réaliser avec leur corps qu’il se passe quelque chose dans le climat.

Il serait peut-être temps aussi de réaliser que l’activité elle-même n’est pas très écoresponsable, des déplacements multiples aux déchets produits. Et comme le coureur est à même de ressentir quelques effets de la crise du climat, il y a lieu de rendre ces événements festifs un peu plus carboneutres.

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