Vestiges du corps humain

Des fonctions oubliées

Quand on met un doigt dans la paume d’un nourrisson, ce dernier referme la main. Et la poigne est solide : des bébés ainsi suspendus à une barre sont capables de supporter leur propre poids pendant plus de deux minutes.

Le réflexe de préhension, qui perdure pendant quelques mois après la naissance, ne semble pas avoir de fonction apparente, si ce n’est d’offrir de jolies photos en gros plan pour l’album de bébé.

Mais chez les primates, ce réflexe est une question de survie : les bébés peuvent ainsi s’accrocher aux poils de leur mère lorsque cette dernière grimpe aux arbres.

Il est admis, en sciences, que le réflexe de préhension est l’un des nombreux exemples des vestiges de l’évolution chez l’être humain. Ces traits, qu’on qualifie de « vestigiaux », ont perdu leur fonction originale au fil de l’évolution, en tout ou en grande partie. Ils peuvent être comportementaux, physiologiques, et, bien sûr, anatomiques (voir onglet suivant).

ORGASME FÉMININ

L’orgasme féminin serait aussi un trait vestigial, selon la théorie de deux chercheurs américains, dont l’étude, publiée dans le journal JEZ-Molecular and Developmental Evolution, a attiré l’attention des médias de partout dans le monde au début du mois.

Chez l’homme, l’orgasme a une fonction évidente : il accompagne la procréation. Mais la femme, elle, peut très bien concevoir sans avoir d’orgasme, ce qui intrigue les penseurs depuis longtemps (même Aristote s’est posé la question !). Qui plus est, il ne semble pas y avoir de corrélation entre l’orgasme et le succès reproductif des femmes. À quoi l’orgasme sert-il, alors ? Et pourquoi a-t-il été conservé au fil des générations ?

Les chercheurs américains ont suggéré que l’orgasme féminin permettait à l’origine de déclencher l’évolution. Ils se sont concentrés sur un trait physiologique qui accompagne l’orgasme féminin : la décharge de prolactine et d’ocytocine, un réflexe qui jouerait un rôle dans l’ovulation chez plusieurs mammifères. Chez la femme, qui ovule de façon cyclique et spontanée, le réflexe serait désormais superflu, mais l’orgasme a été conservé.

D’autres hypothèses évolutives à propos de l’orgasme féminin ont été avancées dans le passé. Certains voient l’orgasme comme une conséquence (heureuse !) de la base de développement commune du clitoris et le pénis – un peu comme les mamelons chez les hommes. D’autres scientifiques croient qu’il est inopportun d’affirmer qu’il n’y a pas de corrélation entre le nombre d’enfants d’une femme et sa capacité à avoir des orgasmes et que ce n’est pas parce qu’on ne constate pas d’effet aujourd’hui que ça n’en a pas eu d’effet au fil de l’évolution.

L’orgasme renforcerait le lien affectif dans le couple. « L’effet opère beaucoup plus sur le rapport social et affectif que sur la physiologie de la reproduction, bien qu’ultimement, ça va avoir un effet sur la reproduction, sur le succès du couple à avoir et élever des enfants », estime Luc-Alain Giraldeau, professeur au département des sciences biologiques de l’UQAM, qui juge la théorie des chercheurs américains peu crédible.

CHAIR DE POULE

Si l’orgasme féminin est l’objet de débat, d’autres traits perçus comme des vestiges du passé font davantage l’unanimité. L’exemple par excellence ? La chair de poule.

Ce réflexe anatomique ne sert pas à grand-chose chez l’homme. Mais chez les animaux qui ont des poils ou des plumes, il permet de créer une couche d’air qui sert d’isolation contre la température extérieure, souligne Michelle Drapeau, professeure au département d’anthropologie de l’Université de Montréal.

Pourquoi avons-nous conservé cet héritage des animaux velus qu’étaient les humains il y a des millions d’années ?

« Un trait va apparaître par sélection naturelle et va se maintenir dans la population tant que les individus qui ont ce trait vont être avantagés. »

— Michelle Drapeau

« Si, à partir d’un moment, un trait devient inutile mais ne nuit pas à la survie [comme la chair de poule], il n’y aura pas de sélection naturelle pour ce trait-là, ajoute Mme Drapeau, ni pour le maintenir ni pour l’enlever. Par inertie génétique, le trait va donc souvent rester sous des formes variables dans la population. »

MÊME TRAIT, NOUVELLES FONCTIONS

L’évolution anatomique est quelque chose de « hautement conservateur », souligne pour sa part Luc-Alain Giraldeau, dont les recherches portent sur le comportement des animaux. « Quand on y pense, les vertébrés ont tous quatre membres, la tête placée en avant. Tout ce que ça fait, c’est modifier l’aspect. »

D’autres traits, apparus par sélection naturelle dans un certain environnement, vont remplir une tout autre fonction dans un environnement différent.

Michelle Drapeau cite l’exemple de l’épaule, qui est hyperflexible chez l’humain et ses plus proches cousins primates, mais pas chez les petits singes. « C’est probablement des adaptations pour permettre à notre bras de se suspendre sous les branches, parce qu’on est très gros et qu’on ne peut marcher sur les branches », explique Michelle Drapeau.

L’homme ne se déplace plus dans les arbres, certes, mais ce sont ses épaules flexibles qui lui ont permis de lancer des objets – et donc de chasser, indique Michelle Drapeau.

Même chose pour la main préhensile, qui servait jadis à se promener dans les arbres, et qui est, chez l’homme, un organe de manipulation très fine et complexe.

Quelques traits qui ont évolué (ou non) au fil du temps

Comportement des jeunes mâles

Quand on regarde les taux de mort violente (accidents, homicides), les jeunes hommes de 16 à 19 ans sont surreprésentés. « Ils sont de grands preneurs de risques, constate Luc-Alain Giraldeau. À mon avis, c’est un comportement qui avait du sens il y a longtemps. C’était peut-être une façon de monter dans la hiérarchie sociale, d’accaparer les ressources et d’être capable, ensuite, de fonder une famille. »

Quelques traits qui ont évolué (ou non) au fil du temps

Digestion du lait

La difficulté à digérer le lait est perçue comme un problème de nos jours. « Pourtant, c’est la condition ancestrale ! », souligne Luc-Alain Giraldeau, qui rappelle que tous les autres mammifères ne produisent plus l’enzyme pour digérer le lait une fois l’allaitement terminé. Si des adultes digèrent le lait, c’est parce qu’ils ont des ancêtres qui s’adonnaient à avoir cette capacité et qui ont ainsi pu survivre à de grandes famines en buvant le lait de leur bétail.

Quelques traits qui ont évolué (ou non) au fil du temps

Ovulation cachée

Parmi tous les primates, les humains sont les seuls dont l’ovulation est cachée : même la femme a de la difficulté à savoir quand elle est féconde, souligne Luc-Alain Giraldeau. Pourquoi ? Une hypothèse a été avancée. L’humain étant un primate très intelligent et conscient de lui-même, les femmes qui pouvaient déterminer leur fécondité auraient choisi de contrôler leurs naissances. Les femmes dont l’ovulation était cachée auraient donc eu plus de descendants !

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