Cyclisme

Foi en Clara

En 1994, Clara Hughes était favorite pour remporter le contre-la-montre des Championnats du monde d’Agrigento. La cycliste canadienne avait fini quatrième en Italie. Sa compatriote Anne Samplonius avait causé la surprise en remportant la médaille d’argent.

Vingt ans plus tard, Samplonius est tombée des nues en apprenant hier matin que la célèbre athlète olympique avait subi un contrôle positif lors de cette course. Cette révélation étonnante ne change en rien l’estime qu’elle porte à son ancienne coéquipière.

« Je crois en Clara Hughes », a exprimé Samplonius, 47 ans, en entrevue téléphonique depuis le Colorado. « Je sais que c’est une bonne personne, je sais qu’elle ne ferait jamais ça. »

Cycliste professionnelle de 1993 à 2012, Samplonius a côtoyé Hughes à de nombreuses reprises dans l’équipe nationale. Les deux athlètes n’ont jamais été amies, mais partageaient le même franc-parler, notamment contre le dopage sportif.

« J’ai de la peine pour elle. C’est arrivé il y a de nombreuses années et ça revient encore la hanter. »

— Anne Samplonius

Hughes a elle-même choisi de révéler son test positif à l’éphédrine dans une entrevue à la CBC diffusée dimanche soir. Elle raconte les détails dans son autobiographie qui paraît aujourd’hui (1).

La sextuple médaillée olympique de 42 ans ne s’explique pas comment elle a pu échouer à ce contrôle qui lui a valu une suspension de trois mois à l’époque.

PAS DE QUOI FOUETTER UN CHAT

Christiane Ayotte trouve malheureux que Hughes ait eu ce secret sur sa conscience durant la moitié de sa vie. Pour l’experte de la lutte contre le dopage, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. « Je trouve que ce n’est pas grand-chose », a-t-elle affirmé.

Les cas positifs à l’éphédrine étaient légion à l’époque. Mme Ayotte en a elle-même détecté quelques dizaines dans son laboratoire du Centre INRS-Institut Armand-Frappier, dont elle est la directrice.

La présence d’éphédrine, un stimulant interdit, était souvent attribuable à l’usage de produits naturels contenant du ma huang. Utilisé depuis des millénaires dans la médecine chinoise pour ses propriétés stimulantes, cet arbuste renferme de l’éphédrine et ses dérivés. À la fin des années 80 et au début des années 90, l’étiquetage de ces produits était inadéquat ou inexistant. Santé Canada et la Food and Drug Administration ont fait le ménage depuis.

« Je ne dis pas que c’est ça [pour Clara Hughes], mais ce n’est pas des résultats sur lesquels on agissait fortement, a rappelé la Dre Ayotte. L’athlète pouvait recevoir une réprimande, pas de sanction ou une sanction de quelques mois. »

En 1988, le Comité olympique américain (USOC) avait exonéré le sprinter Carl Lewis après un contrôle positif semblable. Le Sports Illustrated avait ébruité l’affaire, qui concernait sept autres athlètes, au début des années 2000. La fédération internationale d’athlétisme avait jugé que l’USOC avait appliqué les règles en vigueur à l’époque. La quantité d’éphédrine contenue dans l’urine de Lewis était infime.

« Les gens ne doivent pas confondre éphédrine avec EPO, anabolisants et dopage sanguin, a insisté la Dre Ayotte. Ce n’est pas la même chose du tout. »

« C’était des produits naturels, des stimulants. On s’entend que ce n’est pas le même genre de dopage qui mine le cyclisme et les sports d’endurance. »

— Christiane Ayotte

LES POLITIQUES DE L’ÉPOQUE

En 1994, l’Agence mondiale antidopage (AMA) et le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) n’existaient pas. Chaque organisation appliquait ses propres règles. Quelques semaines après les Mondiaux d’Agrigento, l’Union cycliste internationale (UCI) a fait parvenir une télécopie à l’Association cycliste canadienne (ACC) pour signaler le test positif de Hughes et sa suspension de trois mois.

Pierre Hutsebaut a eu la tâche d’annoncer la nouvelle à la cycliste. « Elle était vraiment surprise, plutôt en colère. Elle disait : “Ce n’est pas possible” », s’est rappelé le directeur haute performance de l’ACC à l’époque.

La fédération a demandé l’analyse d’un échantillon B, qui a donné le même résultat. Hughes aurait alors reçu le conseil de garder le silence, selon le reportage de la CBC. Cyclisme Canada (anciennement l’ACC) a indiqué dans un communiqué ne pas « cautionner la façon dont cette situation a été traitée à l’époque par les personnes impliquées ».

Hutsebaut, qui tient à réitérer sa farouche opposition au dopage, jure qu’il n’a fait aucune recommandation à Hughes ou à son entraîneur de l’époque, Mirek Mazur.

« Je n’aime pas beaucoup la façon dont ils ont formulé ça, a précisé l’ancien directeur. C’est comme si on voulait me mettre le blâme sur le dos. J’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai suivi les politiques de l’époque. Je lui ai donné sa suspension, pas de conseils. C’était considéré comme une offense mineure par l’UCI. Elle était suspendue trois mois, un point, c’est tout. […] S’ils avaient voulu le publiciser, c’était son rôle à elle. Moi, j’ai suivi les procédures. L’AMA n’existait pas, le CCES n’existait pas. C’était il y a 21 ans. »

Depuis, Hutsebaut n’a jamais mis en doute l’intégrité de Hughes, qui est devenue la seule athlète canadienne médaillée à des Jeux olympiques d’été et d’hiver.

« De façon personnelle, je l’ai crue. C’est quelqu’un de foncièrement honnête. Et puis l’éphédrine, clairement, ça ne fait pas avancer. »

— Pierre Hutsebaut

Dans le contexte actuel, Hughes aurait eu l’occasion de s’expliquer et de défendre sa réputation après un tel test positif, souligne Christiane Ayotte.

« Je ne peux pas croire que cette pauvre-là, dans un sens, se soit possiblement sentie si mal toute sa vie, a-t-elle souligné. Ce n’était pas un gros secret bien vilain. C’est pour ça que la divulgation [des cas] est importante. Avec la façon dont c’est géré maintenant au Canada, elle aurait probablement été exonérée au bout du processus. On aurait expliqué ce qu’est l’éphédrine, surtout en produit naturel. Ce n’est rien qui m’empêchera de dormir sur la carrière de Clara Hughes. »

Anne Samplonius déplore que Hughes doive passer à travers une telle tempête : « Mais elle est forte, elle a du caractère. Je sais qu’elle pourra composer avec ça. »

Clara Hughes n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

(1) Cœur ouvert, esprit ouvert, la traduction française chez Libre Expression, sera en librairie le 16 septembre.

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