Noémie D. Leclerc et Hubert Lenoir

Soif de liberté

Ce sont des artistes rêveurs, inspirés et exaltés par la création. Hubert Lenoir, 23 ans, et Noémie D. Leclerc, 21 ans, forment un couple. Lui a fait un album (sorti chez Simone Records) et elle, un livre (édité par Québec Amérique) dans un projet hors-norme commun intitulé Darlène

Commençons par les présentations.

Avec son look androgyne, Hubert Lenoir s’est fait connaître au sein du groupe The Seasons.

Noémie D. Leclerc n’a pas étudié en littérature. Elle dit « écrire le plus humainement possible ».

Darlène est une jeune femme de 20 ans d’une bonne famille de Québec qui a soif d’émancipation. Elle rencontrera un Américain qui veut mettre fin à ses jours en sautant de la chute Montmorency.

Discussion avec Hubert Lenoir et Noémie D. Leclerc sur leur « œuvre totale » qui fait l’éloge – dans la forme et le contenu – de la différence, de l’excentricité et de la liberté de création.

Votre première rencontre ?

H : Nous nous sommes vus pour la première fois lors d’un spectacle des Seasons au Cercle. Nous avons eu un eye contact dans l’escalier. Depuis, nous ne nous sommes jamais lâchés. Cela fait quatre ans.

N : J’avais un chum en plus.

Si on vous avait dit, il y a quatre ans, que vous sortiriez un projet d’envergure comme Darlène, vous y auriez cru ?

N : Cela m’aurait surpris de moi…

H : Hein ! C’était certain pour moi que nous allions sortir de quoi… Je me souviens qu’on voulait trouver un moyen d’être ensemble le plus possible.

Quand est né le projet de Darlène ?

H : Il y a un an. Ce projet-là, contrairement à plein d’autres, est resté. Moi, je composais, et Noémie écrivait…

N : Nous nous sommes rendu compte qu’on s’en allait à la même place sans passer par le même chemin.

H : Nous ne voulions pas nous limiter à un format… J’arrivais d’une tournée avec mon groupe où j’avais un peu perdu foi en la création et l’art. J’avais envie de plus, d’une œuvre totale.

N : Je ne suis peut-être pas écrivaine dans l’âme, mais je trouvais cela égoïste de faire juste un livre.

C’est vrai qu’il faut de l’ego pour être un artiste…

N : Oui, je suis plus la fille qui reste derrière, mais c’est devenu un gros projet d’amour.

H : Je lui prête un peu de mon ego !

Votre livre et votre album font l’éloge de la différence à travers le personnage excentrique de Darlène. Or, la concrétisation de votre projet, dans lequel ont embarqué Québec Amérique et Simone Records, est la preuve qu’un projet ambitieux et hors norme comme le vôtre peut voir le jour.

H : On l’a senti… quand on a commencé, tout le monde nous disait : « Je pense que ce n’est pas une idée. » C’est un peu un combat contre l’establishment artistique au Québec, où le système de subventions est très fort. C’est une victoire d’avoir fait mon album DIY dans mon appartement.

Quand vous marchez dans des quartiers plus conservateurs de Québec, quel regard porte-t-on sur vous ?

N : Moi, je dois défendre Hubert. Les gens le callent… Je dois les envoyer promener. Comme si Hubert était trop marginal et qu’il fallait le traiter de fif…

H : Des gens se sentent attaqués par la façon dont je suis. Je ne trouve pas qu’il y a de grossièreté et d’impolitesse dans ce que je fais. Je suis bien élevé.

N : Il faut voir les commentaires sur notre clip…

Aviez-vous une technique de travail ?

H : Noémie me montrait son travail chapitre par chapitre. Nous avons un petit appartement d’une pièce dans le quartier Saint-Sauveur. C’est devenu un loft de création avec des feuilles partout. […] C’est très musical, mais j’avais vraiment la conviction qu’il ne fallait pas de maquette avant mes six jours en studio. C’est quelque chose dont je suis très fier. J’avais des notes et j’avais tout dans ma tête. J’ai fonctionné à l’ancienne.

Noémie, vous écrivez depuis quand ?

N : J’ai toujours écrit, mais je n’ai jamais vraiment voulu faire ça. J’allais dans les salons du livre et je trouvais cela plate et très silencieux. Même les soirées de poésie, je trouvais cela plate. Je jalousais un peu la musique, car cela se passe dans les bars… les gens jasent, il y a des jams. Mais j’ai toujours écrit, car j’avais un certain talent.

 Avez-vous étudié en littérature ?

N : Je n’ai pas étudié à l’université, mais j’ai fait semblant par en dessous pour écrire dans le journal de l’Université Laval. Or, j’étais au cégep en cinéma… et je n’ai pas terminé.

H : Nous sommes deux drop-outs.

Hubert, qu’aimez-vous dans l’écriture de Noémie ?

H : Il n’y a pas de morale… elle ne juge pas. Mais aussi, elle me fait beaucoup rire.

La pochette minimaliste du livre est très jolie.

N : Cela a été toute une aventure. Le milieu du livre n’est pas celui de la musique. C’est très conventionnel.

Sinon, avez-vous eu des bâtons dans les roues ?

N : Il a fallu se battre un peu, mais nous avons été compris. Notre projet a été fait dans la liberté pour les gens comme nous de notre génération et nous ne voulons pas que ce soit teinté de quelque chose de carré. Sur l’album, il y a une pièce instrumentale, une autre en anglais et une reprise de Jean-Pierre Ferland. Dans le livre, il y a des bouts en anglais et des extraits de théâtre. C’était clair que ça allait marcher comme cela.

H : Le nombre de gens qui nous a pourtant dit que ce ne serait pas possible. Puis, regarde, l’accueil est bon.

L’accueil est bon, en effet. Mais, Hubert, il est impossible de définir ton album, qui puise partout : jazz, glam rock, prog…

H : Tant mieux. C’est ce que je veux. Je veux briser les codes de la pop comme le faisaient mes idoles David Bowie et Paul McCartney.

Darlène

Hubert Lenoir

Simone Records

Darlène

Noémie D. Leclerc

Québec Amérique

232 pages

Extrait : 

« Darlène est venue au monde un soir d’hiver, entre deux tempêtes. Son père avait manqué l’accouchement. C’était sa mère qui avait noué le cordon ombilical. Les infirmières l’avaient bercée partout dans l’hôpital, une après l’autre. Avec sa touffe de cheveux noirs et ses lèvres en forme de cœur, Darlène arrachait un sourire aux plus souffrants. “Elle a une grosse tête, elle va être intelligente”, c’est ce qu’avait dit une vieille femme alzheimer qui écoutait une cassette du Roi Lion dans sa petite télévision blanche accrochée au plafond. Mufasa venait de mourir et Simba pleurait sur le corps de son père. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.