CHRONIQUE

Parlons de sexe

« J’ai eu trois cours de sexualité en secondaire III, en science. C’était comme un cours de mécanique. Pour nous montrer comment le cervix s’ouvre pendant l’accouchement, la prof a sorti une règle. Je me suis sentie mal. Ça m’a traumatisée… »

C’est Émilie qui parlait ainsi l’hiver dernier, quand je suis passé dans la classe de Patrick Doucet, enseignant en psychologie de la sexualité au cégep Marie-Victorin, dans le nord de Montréal.

Rose a renchéri : « En secondaire V, je ne me souviens que d’un seul cours sur la sexualité. Mon souvenir se résume à ça : un long malaise ! Personne n’était à l’aise. La prof n’était pas à l’aise. Nous non plus. Ça fait peur quand tu vois que même la prof n’est pas à l’aise de te parler du sujet… »

Le prof Doucet, qui enseigne la psychologie de la sexualité depuis plus de 25 ans, a écrit trois essais sur la sexualité. Il m’avait invité en classe pour écouter ses jeunes, après un examen.

En cette ère où le gouvernement du Québec veut que l’éducation à la sexualité cesse d’être enseignée sur le coin du pupitre – au primaire et au secondaire –, je trouvais l’invitation intéressante…

Surtout que l’ambition du gouvernement du Québec se heurte ces jours-ci à toutes sortes d’écueils, comme les réticences des enseignants, comme le rappelait ma collègue Marie-Eve Morasse dans un reportage fort éclairant, hier.

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Le constat que je tire, après avoir écouté pendant plus d’une heure une vingtaine de cégépiens qui ont reçu quelques cours de sexualité, ici et là, dans leurs 12 années de scolarité primaire et secondaire ?

Ils n’ont à peu près rien appris dans ces cours.

Davide : « Mon expérience de ces cours, c’est qu’on abordait tout sous un angle négatif. Les agressions sexuelles, les infections transmissibles sexuellement, les grossesses non désirées. Personne ne parlait jamais des bienfaits de la sexualité ! »

Isabelle : « Des photos des symptômes des infections transmissibles sexuellement en gros plan, ça, on en a vu. Tellement qu’ils nous disaient que si on se sentait mal, on pouvait sortir de la classe… »

Ils n’ont rien contre le fait d’avoir eu à en apprendre là-dessus, sur les risques de la sexualité. Mais ils ont l’impression que les questions qu’ils se posaient à ces étapes de leurs vies, personne ne pouvait y répondre. Ni leurs parents ni ceux qui leur donnaient quelques ateliers sur la sexualité, à l’école. Des questions de base…

Laeneck : « Jeune ado, tu te poses plein de questions. Sur la masturbation, par exemple. Personne ne te dit : se masturber, ça fait du bien ! J’en parlais avec mes amis, sais-tu ce qu’ils me disaient ? Que si tu te masturbes trop, c’est pas bon pour la santé. Et moi, je le faisais tout le temps ! »

Davide, encore : « À 13, 14 ans, tu te poses ces questions-là. Tu te demandes si tu vas avoir des effets à long terme parce que tu te masturbes. Vais-je avoir des problèmes d’érection ? »

Tashley : « Comment on fait l’amour ? À 12, 13 ans, je voulais savoir ça. Comment les personnes homosexuelles font ça ? Avec les cours qu’on avait, tout au long de mon secondaire, j’ai pensé que la sexualité, c’était mauvais, surtout pour les filles : l’emphase était sur des photos d’infections transmissibles sexuellement, de grossesse non désirée. Les adultes sous-estiment le questionnement des jeunes face à la sexualité, en secondaire I, II, III… »

Je disais qu’ils n’ont à peu près rien appris dans les cours qu’on leur a donnés au primaire et au secondaire. Second constat : leurs parents ne leur ont pas appris grand-chose, pour la plupart, côté sexualité.

Mais si je me fie à mon échantillon non représentatif de jeunes adultes récemment sortis du secondaire, internet est LA source d’éducation sexuelle privilégiée.

C’est Davide qui a ouvert la discussion sur le XXX : « Tous les gars regardent de la porno… »

Eve, qui l’interrompt : « Nous aussi ! »

Tashley a ainsi raconté avoir consulté des sites XXX pour au moins avoir une idée de comment faire une fellation : « Ma ressource, c’était internet. » Idem pour Katrine : « Pour la porno, tu vas vérifier des stéréotypes, par exemple pour voir si les Noirs ont de gros pénis. »

Laeneck : « La première fois que j’ai vu ça, de la porno, j’étais sous le choc. J’étais en secondaire I. J’ai eu un choc : le gars éjacule sur la fille ! Tu te dis : “Hein, c’est comme ça que ça fonctionne ?” »

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Eve, elle, aurait aimé apprendre un truc tout simple sur le plaisir. Jusqu’à tout récemment, dit-elle, sa conception, c’est que le fun, dans une relation intime, c’était… pour le gars.

« Personne ne m’a dit : “Il faut que tu te découvres. Il faut que tu dises ce qui te fait plaisir.” Puis, j’ai eu une illumination…

— Une illumination ?

— J’ai découvert le podcast Sex With Emily… »

Ce balado américain animé par la sexologue américaine Emily Morse a pour devise de « sauver le monde, un orgasme à la fois ». Eve a beaucoup appris grâce à Mme Morse : « C’est avec elle que j’ai appris qu’il faut connaître son corps, que la communication existe, que le gars n’a pas réponse à tout. Avant, je pensais que c’est le gars qui allait me donner du plaisir… Alors que dans le fond, personne ne sait vraiment quoi faire. »

Le plaisir, justement, parlons-en…

Je leur ai posé une question bien simple, moi aussi, une question de base : 

« Dans vos cours d’éducation sexuelle, ils vous ont dit que la sexualité, ça peut être la chose la plus fantastique du monde ? »

Réponse à l’unisson, en me regardant comme si j’étais une grenouille : 

« Non… »

Je sais que trouver les mots pour enseigner l’éducation sexuelle n’est pas aisé, ni pour les parents ni pour les enseignants. Je sais que le sujet est chargé. Je soupçonne que les cafouillages actuels dans l’implantation de ces cours sont aussi le résultat d’une génération à avoir peur d’enseigner le sujet à nos jeunes, à l’enseigner comme on se retient d’éternuer…

Mais il faudra bien leur dire que les humains font l’amour pour une raison fondamentale : parce que c’est plaisant.

C’est la base.

Si on ne leur parle pas de la base dans un cours de sexe, à quoi bon donner le cours ?

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