CHRONIQUE

Ce café qui a changé la vie de Natalia

C’est le café qui l’a attirée. Natalia s’en souvient très bien. C’était il y a sept ans. Sa vie vacillait à l’époque. Et sa voix vacille encore quand elle y repense. Un accident, une série de coups durs, des deuils. Sa vie de femme de carrière qui bascule. Ce sentiment de tomber de haut. D’être seule et fragile.

Jamais elle n’aurait cru un jour frapper à la porte d’un organisme communautaire. « Si tu m’avais dit, à l’université, il va t’arriver tout ça, j’aurais dit : non, pas moi ! Et comme beaucoup de gens, j’avais des préjugés sur les groupes communautaires. Je pensais que c’était granola, que c’était une perte de temps… »

Lorsqu’elle a vu passer une brochure du programme d’éducation populaire ParentESE (Parent engagé au soutien à ses enfants), qui proposait du café gratuit aux parents du quartier Centre-Sud, Natalia s’est dit : pourquoi pas ?

Elle se souvient que la première fois, son fils Samuel, qui avait 4 ans, n’a pas voulu descendre l’escalier avec l’intervenante. Il pleurait. Et Natalia, élevée avec l’injonction d’être une mère parfaite, le voyait comme un échec. Elle rasait les murs. « Je suis fille d’immigrants. Dans mon éducation, demander de l’aide à des organismes, c’est mal vu ! Je voulais le faire, mais je n’osais pas. À ce moment-là, je voulais juste prendre mon enfant et partir. »

Les intervenantes l’ont rassurée. Natalia est restée. Et, en rétrospective, c’était la meilleure décision du monde tant pour elle que pour son fils. 

« J’avais comme une noirceur en moi. Et c’est comme si la lumière a fini par jaillir grâce à  La Relance. »

— Natalia

Petit à petit, elle a rebâti sa confiance. On lui a fait découvrir en elle des pouvoirs qu’elle ne soupçonnait pas. Elle a compris qu’elle était beaucoup plus forte qu’elle ne le croyait. « J’ai appris ici qu’on peut changer les choses. Que rien n’est statique. Que si tu prends conscience d’une chose, tu peux la changer. Je suis fière de ça. Mais je suis encore plus fière que mon fils ait assimilé ces leçons de vie. »

***

Vous ne connaissez peut-être pas La Relance Jeunes et Familles, même si l’organisme, dont les locaux sont contigus à ceux du Centre de pédiatrie sociale Centre-Sud du Dr Julien, célèbre son 50e anniversaire. L’organisme à vocation éducative travaille loin des projecteurs des médias. Mais dans le quartier, des milliers de personnes comme Natalia le connaissent très bien et en parlent avec gratitude. Et pour cause. Il y a là des magiciens de l’ombre qui veillent à ce que chaque enfant parte à chances égales dans la vie.

Le 20 décembre, l’organisme s’est vu décerner par Manon Massé la prestigieuse Médaille de l’Assemblée nationale en reconnaissance de l’excellence de son travail depuis 1968 auprès des parents et des enfants les plus vulnérables du quartier Centre-Sud. « Ce groupe est tout simplement exceptionnel », souligne la députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques et co-porte-parole de Québec solidaire.

Aux côtés de la présidente de l’organisme, Marie Boulanger, et de son directeur général, Benoît De Guire, Natalia faisait partie des familles présentes à l’Assemblée nationale pour la remise de la médaille. Des familles heureuses que l’on reconnaisse en haut lieu qu’en dépit de leurs difficultés, elles ont la chance de profiter de l’accompagnement d’un organisme exceptionnel.

Comment décrire cet accompagnement ? Natalia me cite les paroles de Julie, une autre mère fréquentant La Relance, qui résument parfaitement l’œuvre lumineuse de l’organisme : « On ne croyait plus en nous-mêmes. Et malgré ça, La Relance croyait en nous. »

Le principe fondateur de l’organisme est de miser sur les forces de chacun pour redonner un élan à des gens que la vie a fragilisés. L’essentiel est d’abord de prendre le temps de nouer un lien de confiance, explique Kathy Letellier, coordonnatrice des programmes et services de l’organisme. 

« Les gens craignent qu’on ne leur fasse la leçon dans les ateliers pour parents. Mais ils se rendent compte en venant pour la première fois que ce n’est pas du tout ça. On part des expériences que les parents partagent autour de la table. »

— Kathy Letellier, coordonnatrice des programmes et services chez La Relance Jeunes et Familles

« Des fois, les intervenants ne parlent même pas dans les ateliers. Ce sont les parents qui se parlent entre eux », poursuit Mme Letellier.

Il est loin, le temps où Natalia rasait les murs. Fière ambassadrice de La Relance, elle fait aujourd’hui partie de son conseil d’administration. Et son parcours est une source d’inspiration pour d’autres parents qui hésitent à demander de l’aide, souligne Kathy Letellier. « Elle est devenue une leader et un modèle pour les parents. »

La grande majorité des familles à qui La Relance vient en aide vivent dans une précarité financière préoccupante. Elles sont souvent isolées, épuisées, stressées. On y croise des mères qui se privent de manger pour pouvoir nourrir leurs enfants et cumulent les défis quotidiens. Riches ou pauvres, diplômées ou pas, lorsqu’elles se retrouvent à La Relance, elles sont sur un pied d’égalité, observe Natalia. « Quand tu arrives dans le salon et que tu partages ton expérience avec d’autres mères, les murs s’effondrent. Les mamans ici me font vibrer par leur courage, leurs sacrifices. Certaines vivent des situations insoutenables, mènent des batailles colossales, et malgré tout, elles viennent religieusement ici. »

Avec douceur et bienveillance, les gens dévoués de La Relance travaillent à révéler le meilleur en chacun. « Ils te rappellent qu’il est là, en toi. C’est juste qu’il est enfoui. Ils le font ressortir. » Tels des chercheurs de trésors qui, au détour d’un café, réussissent à changer des vies. Rien que ça.

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