Taxe scolaire

Les effets pervers de la réforme

Le gouvernement du Québec va remettre quelque 670 millions aux contribuables québécois sous forme de rabais de taxe scolaire dans le but de combattre les iniquités, mais le résultat a pour effet d’en créer d’autres, a constaté La Presse.

Taxe scolaire

De nouvelles iniquités

Québec a décidé de réformer la taxe scolaire pour éviter que les contribuables sans enfants magasinent leur taux de taxation entre les commissions francophone et anglophone de leur territoire. Le gouvernement uniformisera les taux de taxation sur le taux le plus bas en vigueur dans une région administrative et compensera. Il compense le manque à gagner par des subventions qui varient d’une commission scolaire à l’autre, ce qui crée quelques situations étonnantes.

Taxe scolaire

Les Basses-Laurentides plus choyées que l’île de Montréal

Montréal, qui compte pour le quart de la population québécoise, touchera environ 2 % de la subvention couvrant le rabais de taxe, soit 15 millions. On obtient ce chiffre en appliquant le rabais de 26 $ à chacun des 500 000 contribuables qui reçoivent un compte scolaire dans l’île de Montréal. Pendant ce temps, la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (Saint-Eustache, Blainville, Rosemère) touchera près de 50 millions, soit 468 $ pour chacun des 103 204 contribuables. La Commission de la Capitale, à Québec, recevra près de 18 millions, soit 271 $ pour chacun des 82 171 contribuables. Outre Montréal, les régions qui seront négligées par la réforme sont Laval, la Mauricie, le Saguenay–Lac-Saint-Jean, le Centre-du-Québec, Gaspésie–Les Îles et Lanaudière. Les grands gagnants : Québec, l’Outaouais, les Laurentides, la Montérégie et l’Estrie.

Taxe scolaire

Le taux de taxation deux fois plus élevé à Rimouski qu’à Québec

Jean Bernatchez, politologue spécialisé en éducation et professeur à l’Université du Québec à Rimouski, possède un condo d’une valeur de 150 000 $ à Rimouski et une copropriété à Québec évaluée à 300 000 $. Avant la réforme, il payait logiquement 150 $ de plus à Québec qu’à Rimouski. Avec la réforme, l’écart disparaît. Le prof paiera pratiquement autant à Rimouski qu’à Québec, même si son condo de Rimouski vaut deux fois moins cher que sa propriété dans la capitale. « Le taux de taxe sera de 0,26 $ à Rimouski et de 0,13 $ à Québec. Il y a véritablement quelque chose d’inéquitable », dit-il.

Taxe scolaire

Des taux multiples au sein d’une même commission scolaire

Le projet de loi crée des distinctions entre contribuables d’une même commission scolaire, puisque certaines commissions juxtaposent plus d’une région administrative. Avant la réforme, un seul taux s’appliquait sur l’ensemble du territoire de la commission scolaire. Avec la réforme, le taux de taxation variera selon la région. À la Commission scolaire Central Quebec, dont le territoire couvre la rive nord de Trois-Rivières jusqu’au Saguenay, le taux variera pratiquement du simple au triple selon que vous habitiez Québec (taux de 0,1336 $ des 100 $) ou la Mauricie (taux de 0,39932 $).

Taxe scolaire

Une taxe, deux modes de calcul

Montréal n’a pas droit aux rabais de taxe parce que la région profite déjà d’un taux unique régional, qui est un taux moyen. Pour le reste du Québec, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx propose d’appliquer le taux minimum de la région à l’ensemble de la région. Le nouveau système, basé sur le taux régional le plus bas, donne droit à des subventions et laisse intact le système montréalais, un taux moyen qui ne donne pas droit aux subventions, sauf l’exemption sur les premiers 25 000 $ de valeur foncière. « On est pénalisés parce qu’on a été les premiers à instaurer un mécanisme de répartition équitable de la taxe », déplore Jean-François Gosselin, commissaire à la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

Taxe scolaire

La Montérégie profite du taux de Montréal 

Le taux en vigueur en Montérégie sera exactement le même qu’à Montréal. Pourquoi la Montérégie a-t-elle le même taux que Montréal, alors que la réforme est censée appliquer le taux le plus bas en Montérégie ? Réponse : la Commission scolaire anglophone de Montréal Lester B. Pearson a un appendice qui se rend à Vaudreuil-Dorion. Pour cette raison, toute la Montérégie bénéficie du taux de Montréal, incluant Sorel-Tracy, à 100 kilomètres de Montréal. Pierreville, prochain village à l’est de Sorel, n’aura pas cette chance. Le taux scolaire sera de 0,30 $, soit le taux du Centre-du-Québec. « C’est vraiment du drôle de rafistolage », dit le politologue Jean Bernatchez.

Taxe scolaire

Qui paie le plus en taxe scolaire ?

Avant la réforme (compte de taxe moyen)

CS des Draveurs (Outaouais) : 829 $

CS de la Région-de-Sherbrooke (Estrie) : 794 $

Île de Montréal : 777 $

CS des Portages-de-l’Outaouais : 764 $

CS de Laval : 757 $

Après la réforme (compte de taxe moyen)

Île de Montréal : 751 $

CS de Laval : 717 $

CS des Affluents (Lanaudière) : 610 $

CS Wilfrid-Laurier (Lanaudière) : 544 $

CS de la Région-de-Sherbrooke (Estrie) : 465 $

CS de la Jonquière (Saguenay – Lac-Saint-Jean) : 441 $

Source : ministère de l’Éducation du Québec

Taxe scolaire

Pourquoi ne pas abaisser le taux plafond ?

Invité à réagir aux constats faits par La Presse, le cabinet du ministre de l’Éducation a indiqué que l’objectif de la réforme était d’assurer une équité sur une base régionale. Mais pour réduire le phénomène du magasinage entre commissions scolaires française et anglaise d’un même territoire, le gouvernement aurait pu diminuer le plafond provincial, inchangé depuis des lustres. Le taux de taxation scolaire est plafonné à 0,35 $ des 100 $ d’évaluation. À peu près aucune commission scolaire n’impose le taux maximal, en raison de la hausse fulgurante des valeurs foncières depuis 15 ans. Ce ne fut pas toujours le cas. En 2007, 62 des 69 commissions scolaires étaient au plafond, ce qui empêchait le magasinage. « Un taux de taxation régional moyen ou encore baisser le plafond aurait eu pour effet d’augmenter le compte de taxe de certains contribuables et n’aurait pas corrigé les iniquités [transferts] à même les régions », répond-on au cabinet du ministre de l’Éducation.

Taxe scolaire

Proposition d’urgence à la CSDM

Les élus de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) se pencheront sur une résolution demandant au gouvernement du Québec de repousser la réforme de la taxe scolaire à cause de son caractère inéquitable pour les Montréalais ou de verser une compensation financière aux cinq commissions scolaires de l’île de Montréal.

Les commissaires indépendants Jean-François Gosselin et Jean-Denis Dufort vont présenter leur proposition d’urgence à la prochaine réunion du conseil des commissaires le 20 décembre.

La réforme du ministre de l’Éducation exclut en effet les commissions scolaires de l’île de Montréal du nouveau mode de calcul du taux de taxation scolaire qui donne droit à de généreux rabais de taxe foncière pour les contribuables ciblés.

Les commissaires Dufort et Gosselin dénoncent dans leur proposition le caractère injuste de la réforme.

« Considérant que les résidants de l’île de Montréal ne bénéficieront pas de cette diminution de la taxation scolaire puisqu’ils sont exclus du régime transitoire, mais qu’ils paieront, à même leur contribution aux revenus de l’État, pour subventionner les résidants des autres régions du Québec ; […]

« Considérant que ce régime transitoire règle certaines disparités régionales, mais en crée aussi de nouvelles envers la population de l’île de Montréal ; […]

« Il est résolu de s’assurer que si le gouvernement ne veut pas surseoir au régime transitoire pour l’année 2018-2019, année électorale, qu’il s’assure de prévoir une compensation financière pour les commissions scolaires de l’île de Montréal, ainsi que l’ensemble des Montréalais. »

Un pas dans la bonne direction

Abolitionniste déclaré de la taxe scolaire, le professeur Robert Gagné se réjouit plutôt de la réforme proposée par le gouvernement du premier ministre Philippe Couillard.

« C’est un petit pas dans la bonne direction, dit-il. Globalement, on réduit la taxe scolaire de 600 à 700 millions. La taxe scolaire est une mauvaise taxe qui a plein de problèmes d’équité et les mauvaises taxes, il faut les faire disparaître. »

Pour lui, l’éducation doit être financée en totalité par le fonds consolidé de la province. « Le prochain pas, c’est d’éliminer la taxe scolaire complètement et d’augmenter les taxes et les impôts. »

M. Gagné reconnaît que le critère retenu, soit appliquer à l’ensemble de la région administrative le taux de taxation le plus bas de la région, est arbitraire. « La mécanique retenue, on peut en discuter, mais réduire les taxes scolaires est une bonne décision. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.