Livre Le conservatisme à l’ère de Trump

Le « trumpisme » survivra-t-il à son créateur ?

En l'espace d'une décennie, le mouvement conservateur a vécu d'importants bouleversements qui ont culminé avec l'élection surprise de Donald Trump. Les auteurs tracent le portrait du conservatisme américain dans ses plus récentes évolutions. 

Au moment de publier ces lignes, Donald Trump est en voie d’achever sa première année à la tête des États-Unis. Force est de constater qu’en plus de diriger un pays divisé, il mène également un parti déchiré. Les fissures au sein du Parti républicain – tout comme celles au sein de la société américaine – étaient déjà présentes avant l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche ou même sur la scène politique. Cela dit, sa présence les a indéniablement accentuées. Seulement depuis son entrée en fonction en janvier 2017, le président s’en est activement pris à une douzaine de sénateurs républicains, incluant le candidat présidentiel du parti en 2008, John McCain, avec qui il s’était également livré à une prise de bec publique lors de la campagne électorale de 2016. Dans certains cas, notamment pour les sénateurs Bob Corker du Tennessee et Jeff Flake de l’Arizona, Trump a publiquement dit souhaiter les voir défaits aux urnes.

Les différends entre Trump et ses collègues républicains se jouent sur deux plans : le plan personnel et le plan idéologique. Dans le premier cas, des élus républicains, notamment Corker, ont remis en question l’aptitude même de Trump à exercer les fonctions de président – un thème souvent lancé par ses adversaires politiques pendant la campagne de 2016 – en raison de certains de ses propos et agissements pour le moins controversés.

Aussi importantes ces réserves à l’égard du président au sein de son propre parti peuvent-elles être, elles s’avèrent sans doute moins dommageables pour le bien-être de ce dernier que la question des divisions idéologiques l’habitant.

Si le candidat Trump s’est présenté – et a gagné – comme un républicain sortant du moule traditionnel, force est d’admettre que la greffe avec l’élite républicaine n’a pas pleinement pris un an après son ascension à la Maison-Blanche. Le nationalisme populiste de Trump a pu s’exprimer dans certaines décisions unilatérales prises par le président, notamment le retrait rapidement annoncé après la passation des pouvoirs en janvier 2017 des États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP), le vaste accord de libre-échange négocié par l’administration Obama, ainsi que la signature d’une série de « décrets migratoires » visant à restreindre l’accès, sur une base temporaire, de certains ressortissants d’une série de pays ciblés par les États-Unis.

Or, au-delà des actions se limitant à la branche exécutive, les percées « trumpistes » se sont fait beaucoup plus restreintes, voire non existantes. Le Congrès, à majorité républicaine dans les deux chambres, n’a démontré aucun intérêt réel envers le plan massif de financement des infrastructures. Il a exprimé peu d’appétit pour financer la construction du « mur » à la frontière mexicaine, également un point central de la campagne Trump. Il s’est fait résolument hostile face à la volonté de Trump de reconfigurer certaines alliances traditionnelles des États-Unis et d’améliorer les relations avec la Russie. Il a refusé de considérer des actions punitives en matière commerciale envers les pays – notamment la Chine et le Mexique – tirant « avantage » des États-Unis, selon le président. Et le plan de réforme fiscale qu’il a initialement présenté ressemblait davantage à un produit issu des administrations Reagan ou Bush (abaissant entre autres de façon importante les niveaux d’imposition des plus nantis) qu’à ce que Trump avait dit privilégier (une réforme qui taxerait les plus riches, incluant Wall Street, pour financer une baisse d’impôts pour les entreprises et les particuliers de la classe moyenne).

À en écouter les dires de l’ancien stratège en chef du président, Steve Bannon, nul ne doit lire là une coïncidence : l’establishment républicain demeure, selon lui, toujours âprement opposé au programme nationaliste populiste de Trump. En guise de représailles, Bannon aide à mener un effort insurrectionnel de candidats voulant déloger plusieurs élus républicains du Congrès en lançant des campagnes primaires dans le cadre des élections de 2018. Alors que le mouvement du Tea Party visait à « purifier » les rangs républicains des hérétiques jugés insuffisamment conservateurs, ce nouveau mouvement viserait plutôt à transformer le parti, siège par siège, élection par élection, pour en faire un champion du nationalisme populiste. Bannon et ses alliés ne se font pas d’illusions quant à l’ampleur de la tâche – qu’ils voient comme s’étirant sur des années, voire des décennies, avant d’être pleinement réussie.

Même sur une aussi longue échelle de temps, rien n’assure évidemment que le Grand Old Party subira une telle reconfiguration interne. Bien que le parti ait déjà possédé une importante aile nationaliste et isolationniste – de la fin du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle –, sa structure moderne, même sans être infaillible (comme l’a démontré de façon spectaculaire la campagne de 2016), demeure largement dominée par une vision foncièrement conservatrice ou néoconservatrice. Les chefs de file républicains du Congrès, les donateurs majeurs du parti, la plupart des médias conservateurs majeurs et les groupes de pression de droite demeurent à ce jour beaucoup plus près du conservatisme et du néoconservatisme. Le risque pour le « trumpisme » est que son succès soit trop intimement lié au personnage, ne possédant que très peu de soutien institutionnel. Cela ne serait pas sans rappeler la dynamique ayant caractérisé le Parti progressiste américain dans les années 1920 et 1930, trop largement dépendant de ses chefs, Robert La Follette Sr, et son fils Robert La Follette Jr. Une fois ces derniers disparus, le parti en fit de même. Évidemment, le risque ici pour Trump n’est pas tant qu’il fera disparaître le Parti républicain, mais plutôt que la transformation idéologique qu’il veut imposer à ce dernier peinera à lui survivre. Lors des prochaines primaires présidentielles républicaines – qu’elles aient lieu en 2020, car le président Trump ne se représenterait pas ou serait contesté de l’intérieur du parti, ou qu’elles aient lieu seulement en 2024 –, qui se fera l’héritier idéologique de Trump ? Cette personne existera-t-elle même ? Cela pourrait en partie dépendre du succès – ou non – de la présidence Trump, qui demeure encore jeune.

Le conservatisme à l’ère de Trump

Sous la direction de Rafael Jacob et Julien Tourreille

Presses de l’Université du Québec

Québec 2018

126 pages

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