Chronique

La modération a bien meilleur goût

Avez-vous vu ces publicités d’Éduc’alcool qui fixent des limites de consommation au quotidien ? Vous savez, ces bonshommes allumettes qui recommandent trois verres aux hommes, deux aux femmes ?

Je vous fais un aveu… Pus. Capab.

Je ne suis plus capable de ces pubs qui viennent me dire quoi boire, combien boire, et même, comment boire. Des pubs dont l’unique but, finalement, est de me sauver contre moi-même.

Merci. Mais non merci.

Jusqu’ici, pour être bien honnête, les campagnes d’Éduc’alcool ne me dérangeaient pas. Je voyais passer ces messages qui citent des « recherches scientifiques » sans réagir. J’enregistrais à mon insu, ces dernières années, que « les femmes devraient limiter leur consommation à 10 verres par semaine, les hommes à 15 verres ».

Pas de problème. On est dans le message d’intérêt public. On évoque un consensus scientifique. On informe en prenant bien soin d’utiliser le conditionnel pour montrer qu’il s’agit d’une recommandation. Bien.

Mais là, avec la toute dernière déclinaison de cette campagne publicitaire quinquennale, on est ailleurs. On bascule dans un autre monde. On atteint un niveau d’intrusion que je trouve, personnellement, déplacé.

Un exemple. Un groupe d’amis est attablé pour un souper festif. L’hôte demande qui n’est pas chauffeur désigné, puis il remplit généreusement leur verre. Deux bonshommes allumettes surgissent alors à l’écran : « Ce qu’ils ont l’air d’oublier, c’est qu’il faut limiter sa consommation même si on ne conduit pas… »

Pardon ? Maintenant qu’on a rendu populaire l’idée du chauffeur désigné, on demande à ceux qui ne prennent pas le volant d’éviter le troisième verre de vin le samedi soir en soupant avec des amis ! En fait, on ne le « demande » pas, on sermonne, on dicte, en utilisant le présent : « il faut », bon !

Autre pub. Une voix hors champ s’interroge : un « hôte attentionné » doit-il remplir les verres de ses invités avant qu’ils en voient le fond ? « Faux ! Si vous remplissez les verres avant qu’ils soient vides, vos invités ne peuvent plus savoir combien ils ont consommé… »

Pardon ? On vient nous dire comment être un bon hôte à la maison, maintenant ! On nous demande de contrôler la consommation d’invités qui n’ont jamais eu de problèmes de « boisson » ou de comportements déplacés ! On est vraiment rendu là !

Désolé, si l’État n’a pas sa place dans la chambre à coucher, Éduc’alcool n’a pas sa place dans la salle à manger.

On n’est plus dans le message d’intérêt public, on est dans le sermon puritain. On n’informe plus, on prescrit des comportements. On ne recommande plus, on fixe de nouvelles normes sociales pour nos habitudes à la maison, entre quatre murs, entre adultes consentants.

Et on fait ça pour quoi, au juste ? Pour réduire « les niveaux de consommation à faible risque », me dit-on.

Ah. Il n’y a pas plus grave en 2016 que le troisième verre de vin que madame se permet le vendredi soir ? La nouvelle frontière n’est plus l’alcoolisme, mais la bière de trop que monsieur se verse en regardant le hockey ? Il n’y a pas le docteur pour ça ?

En fait, on semble avoir éliminé tellement de comportements à risque qu’il faut maintenant en inventer. Après, on va réguler quoi au nom du sacro-saint risque zéro ? La quantité de grammes de viande à manger par semaine ? Le nombre de pas à franchir par jour ? Le temps assis sur une chaise au bureau ?

Qu’on fasse toutes les campagnes du monde pour limiter la vitesse en auto ou pour réduire la conduite en état d’ébriété, j’en suis. Après tout, ces gens mettent la vie des autres en danger.

Mais pour les comportements à « faible risque » qui ne menacent que la personne qui les adopte, me semble que la modération a bien meilleur goût.

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