CHRONIQUE

La ligne Maginot des temps modernes

Dans la courte vidéo où il décrit ce qu’il fera dans les 100 premiers jours de sa présidence, Donald Trump s’est engagé à répudier le Partenariat transpacifique (PTP), le traité qui n’est pas encore en vigueur entre les États-Unis, le Canada et des pays latino-américains et asiatiques sur les deux rives de l’océan Pacifique.

C’est un des rares cas où Donald Trump ne fait pas cavalier seul. Hillary Clinton avait promis exactement la même chose. De ce côté-ci de la frontière, le chef du NPD Thomas Mulcair avait fait le même engagement.

La dénonciation des traités commerciaux est presque devenue un rituel politique. Barack Obama, alors candidat démocrate, avait lui aussi promis de renégocier l’ALENA, comme M. Trump dans cette campagne. Au Canada, le candidat libéral défait John Turner voulait déchirer le traité de libre-échange avec les États-Unis en 1988. Jean Chrétien a ensuite promis de le renégocier. Mais ces promesses s’évanouissaient avec la prise du pouvoir. C’est là que M. Trump se distingue !

Cette litanie, à droite comme à gauche, reflète un phénomène persistant : l’impopularité de ces traités perçus comme une cause majeure des chocs subis par les économies avancées. L’explication est d’autant plus séduisante qu’elle attribue nos problèmes à des menaces extérieures et à des traités complexes et mystérieux.

Le libre-échange a donc le dos large, très large. Et pourtant, sur le terrain des faits, plutôt que sur celui des mythes, on observe un lien très net entre le développement du commerce entre les pays et la croissance économique.

Ce que l’on voit aussi, c’est que les déboires de certaines régions et de certaines industries ont bien souvent des causes d’un tout autre ordre.

Il faut se souvenir pourquoi, à partir des années 60, on a voulu réduire les barrières, avec le GATT, l’Organisation mondiale du commerce, la création de l’Union européenne et ensuite la signature de traités de libre-échange. Pour mettre fin aux stratégies économiques traditionnelles consistant à déployer un arsenal d’outils pour mettre les industries locales à l’abri de la concurrence étrangère.

Il y avait une théorie derrière : en ouvrant nos frontières aux étrangers, on aurait aussi accès à leur marché. Ce serait plus que du donnant-donnant parce qu’on réduirait les prix à la consommation, qu’on miserait sur les industries où nous avons des avantages comparatifs, qu’on pousserait les entreprises à s’ouvrir sur le monde, tant et si bien que cela mènerait à une activité économique plus intense et à une hausse de la productivité. C’est ce à quoi on a assisté. Le PIB mondial a explosé, passant de 1,3 trillion de dollars US en 1960 à 73,5 trillions en 2015.

Cela ne s’est pas fait sans heurts. Une partie de la planète n’a pas profité de cette expansion. Au sein des économies émergentes, les bénéfices ont été très inégalement répartis.

Dans les pays avancés, il y a eu des gagnants et des perdants. Mais notons que, dans le cas de l’ALENA, les exportations vers les États-Unis ont quadruplé depuis 1988, quand les prix ont augmenté de 1,8 fois. Il y a quand même des jobs là-dedans.

Il n’en reste pas moins que l’économie s’est profondément transformée, notamment avec une baisse des emplois industriels. Mais les causes de ces changements sont multiples. La principale est certainement la mondialisation, dont les effets sont toutefois complexes et ne se réduisent pas aux délocalisations dans des pays aux coûts de production plus bas. Le choc est venu du développement de nouvelles économies capables de produire et de nous concurrencer, ce dont on ne peut pas se protéger en érigeant un mur commercial.

Ce n’est pas jouer sur les mots de dire que ce n’est pas du tout la même chose que les traités de libre-échange. Ces traités ne font pas la mondialisation, ils permettent au contraire de l’encadrer. Le plus bel exemple, c’est le fait que la Chine, l’économie la plus menaçante pour les États-Unis ou le Canada, réussit à nous affecter sans avoir signé d’ententes commerciales avec nous.

Mais une foule de chocs que nous avons subis n’ont rien à voir avec les traités de libre-échange ou l’ouverture des frontières, comme les récessions mondiales, le mouvement des prix des matières premières, l’arrivée de nouvelles ressources, comme le gaz de schiste.

La technologie joue également un rôle énorme, avec l’automation, mais aussi le numérique, comme dans le cas des pâtes et papiers qui souffrent de la lente disparition de l’imprimé. Ce mouvement est loin d’être terminé.

Ça me fait penser à la ligne Maginot, ces fortifications construites par la France avant la Seconde Guerre mondiale pour bloquer une offensive allemande. Les nazis ont tout simplement fait le tour. On peut refuser de signer des traités de libre-échange, promettre des barrières tarifaires, le commerce, les idées, les transactions vont faire le tour, par camion, par bateau, ou par l’internet et les satellites de communication.

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