L’achat de missiles russes sème l’inquiétude

Ankara entend débourser 3 milliards pour acquérir un système de défense antiaérienne russe, une décision qui inquiète les autres pays membres de l’OTAN.

La Turquie a choisi de se tourner vers la Russie pour l’acquisition d’un système de défense antiaérienne sophistiqué. La décision risque de compliquer plus encore les relations entre le régime du président Recep Tayyip Erdoğan et les autres pays membres de l’OTAN, qui s’inquiètent de son évolution.

De quel système la Turquie entend-elle se doter ?

Le président turc a annoncé que son gouvernement allait acheter un système russe de défense antiaérienne de type S-400 dans le cadre d’une transaction d’une valeur estimée à 3 milliards de dollars. Le chef d’État a précisé qu’un acompte avait déjà été versé pour le système en question, qui est conçu pour détecter, suivre et détruire des avions, des drones ou des missiles. Moscou, qui l’a déployé notamment à Lattaquié, en Syrie, pour protéger ses troupes, affirme qu’il permet de toucher des cibles jusqu’à 400 km de distance.

Pourquoi Ankara souhaite-t-il l’acquérir ?

Recep Tayyip Erdogan a indiqué que son gouvernement avait le devoir, pour « protéger son pays », de prendre les mesures de sécurité appropriées. Il a prévenu par ailleurs, en allant au-devant des critiques provenant des pays partenaires au sein de l’OTAN, que « personne n’avait le droit » de discuter des décisions prises en toute indépendance par son pays. Le gouvernement russe, qui a confirmé la transaction, s’est félicité pour sa part de sa conclusion en relevant qu’elle était « conforme aux intérêts stratégiques » du pays.

Qui menace la Turquie ?

Stefan Winter, spécialiste de la Turquie rattaché à l’Université du Québec à Montréal, note qu’il est ironique de voir le pays se doter d’un système de défense antiaérienne russe. Le seul avion à avoir violé récemment l’espace aérien turc est un avion russe qui était basé en Syrie, relève-t-il. Ankara avait fait abattre l’appareil en novembre 2015, suscitant une crise diplomatique importante qui s’est graduellement résorbée depuis. Aykan Erdemir, analyste rattaché à la Fondation pour la défense des démocraties, un groupe de recherche de Washington, pense dans la même veine que la principale menace sécuritaire pour la Turquie « vient de la Russie et de ses partenaires étatiques et non étatiques » dans la région.

Un geste d’abord diplomatique ?

M. Winter pense que le but premier de la Turquie, par son annonce, est « de se distancier » des pays occidentaux afin de montrer son irritation sur différents dossiers sensibles. Le pays ne digère notamment pas, dit-il, le soutien des États-Unis aux Kurdes syriens, considérés comme des alliés des militants du PKK avec qui Ankara est à couteaux tirés sur son propre territoire. Henri Barkey, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie, pense dans la même veine que le régime cherche symboliquement à faire un pied de nez aux Américains. En plus de la question kurde, dit-il, la Turquie est indignée du refus américain d’extrader l’imam Fetullah Gülen, considéré par Ankara comme l’instigateur du coup d’État raté de l’été 2016. Le gouvernement turc n’apprécie pas, par ailleurs, les critiques américaines et européennes sur son virage autoritaire.

La transaction va-t-elle aller de l’avant ?

Le gouvernement turc avait déjà annoncé en 2013 sa volonté d’acheter un système de défense antiaérienne d’origine chinoise, avant de battre en retraite devant les inquiétudes des autres pays de l’OTAN, relève Henri Barkey. L’installation d’un système russe en Turquie pourrait, selon lui, permettre à Moscou d’acquérir une connaissance accrue des systèmes de défense de l’organisation transatlantique et risque à ce titre de soulever aussi une levée de boucliers. L’Agence France-Presse rapporte que le Pentagone avait prévenu cet été, anticipant la transaction annoncée hier, que les pays membres de l’OTAN devraient se doter de matériel compatible avec les systèmes en place. Il n’est pas impossible, relève M. Barkey, que la transaction n’aille finalement jamais de l’avant et que l’annonce ne soit qu’une manière de « faire du bruit ».

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