Opinion : Réforme du système de santé

Restera-t-il une place pour la médecine universitaire ?

La médecine universitaire repose sur le financement de la recherche et du réseau d’enseignement, ainsi que sur l’état des centres universitaires de santé. Pratiquer la médecine universitaire est donc un défi constant qu’il faut relever à ces trois niveaux.

Le contexte actuel de la réforme entreprise par le Dr Gaétan Barrette rendra très difficile la pratique en centre universitaire, car elle établira comme seul résultat désiré le rendement clinique. Cette exigence peut souvent être contraire à une pratique combinant la recherche, l’enseignement, et les soins ultraspécialisés auprès de clientèles présentant des maladies graves et complexes.

Dans la loi 10 et la loi 20, il n’y a pas un mot sur la mission universitaire des centres hospitaliers.

En fait, le mot « université » n’apparaît que trois fois dans la loi 10. Pour ce qui est de la loi 20, elle impose aux centres hospitaliers universitaires une pression de rendement clinique telle qu’ils risquent de se détourner de leurs missions fondamentales de donner des services ultraspécialisés, de participer à l’enseignement et de promouvoir la recherche.

La population québécoise ne réalise pas à quel point sa santé est entre les mains de petites équipes vulnérables, constamment en crise de moyens et d’effectifs. Ce sport national qu’est la « réforme de la santé » épuise les équipes sur le terrain, augmente les points de tension et de frictions, et ne fait rien pour améliorer l’atmosphère de travail. Une gestion lointaine et sans empathie ne fait que mettre de l’huile sur le feu, en contrariant plusieurs initiatives qui répondent à des besoins locaux souvent critiques.

Dans un département de médecine universitaire, chaque « silo » de surspécialité repose sur quelques individus, même parfois un seul. Ces personnes montent autour d’elles des équipes multidisciplinaires constituées de nombreux travailleurs de la santé. Chaque fois que l’on brise ces équipes ou qu’on leur impose des pressions supplémentaires, elles peuvent atteindre un point de rupture. Les acteurs locaux sont constamment à pallier ces crises, à les amoindrir et à combler des manques par ici ou par là.

À QUEL SAINT SE VOUER ?

Dans ce nouveau contexte administratif centralisé, on ne sait plus à quel saint se vouer. Celui qui embauche des travailleurs sociaux ? Celui qui embauche des infirmières spécialisées ? Celui qui embauche de nouveaux collègues pour relever une équipe débordée ? Celui qui embauche un commis ou une secrétaire médicale pour assurer une gestion efficace de la prise de rendez-vous ? Faut-il en appeler directement au ministre ? Faire une campagne auprès de médias sociaux ? (#uneinfirmierespecialiseesvp).

Au fond, tout est une question d’équilibre, d’autocritique, d’humilité et de reconnaissance de ses limites. Ce sont ces compétences transversales que le médecin universitaire s’efforce de mettre en pratique et d’enseigner. Elles doivent se refléter tant dans la profession médicale que chez nos élus.

Je me souviens d’une réforme passée ayant placé le patient ou « usager » au cœur du système de santé. La réforme actuelle, pour sa part, semble placer le ministre au cœur du système de santé. Les équipes locales sont des objecteurs de conscience, et les patients des coûts de système à absorber. Dans ce contexte, il me sera très difficile de convaincre mes jeunes étudiants les plus brillants de revenir pratiquer au Québec après leurs études en surspécialité à Harvard ou à la Clinique Mayo.

Le contexte québécois de la médecine universitaire a toujours été difficile, vu le sous-financement des universités, de la recherche en général, des hôpitaux, des centres de recherche, et j’en passe.

Mais ce qui est de loin le plus nuisible, c’est ce sport national qu’est devenue la « réforme des structures du système de santé ».

Après cette énième réforme, qui est de loin la plus déstabilisante que j’ai pu observer en 25 ans, que restera-t-il de la médecine universitaire ? Accepterons-nous de prendre 10 années de retard sur la médecine moderne nord-américaine ?

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