Catalogne

Ultime tentative de dialogue avec Madrid

Barcelone fait une « déclaration d’indépendance », puis la suspend

Le gouvernement catalan a accouché d’un compromis dans sa quête d’un État souverain : une « déclaration d’indépendance »… qui ne sera pas appliquée dans l’immédiat. Cette ultime dernière chance donnée au dialogue avec l’État central espagnol permettra-t-elle d’apaiser et de dénouer la crise ? Cinq questions pour comprendre.

Quelles sont les conséquences d’une déclaration d’indépendance, même suspendue ?

« C’est comme une invitation à négocier la sécession dans l’intervalle », estime Maxime Saint-Hilaire, spécialiste du droit constitutionnel et professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke. La déclaration d’indépendance prononcée par le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, est donc « provisoire », et d’ici à ce que le Parlement catalan adopte une déclaration d’indépendance définitive, le gouvernement tentera de « négocier les modalités de l’indépendance ou peut-être même un projet de modification constitutionnelle », estime le chercheur. Cette ultime tentative de dialogue avec l’État central espagnol pourrait aussi viser à satisfaire les pays de l’Union européenne, qui ont multiplié les appels en ce sens depuis le référendum, voire les forcer à se mouiller davantage. « L’invitation est lancée directement à Madrid, poursuit Maxime Saint-Hilaire, mais dans son discours, Puigdemont a dit vouloir faire de la question une question “européenne”. »

Est-ce là un compromis pour calmer à la fois Madrid et les indépendantistes catalans ?

« Ici, on est condamnés à spéculer », affirme le professeur Saint-Hilaire. « Ce gouvernement était lié par ses propres engagements, par sa propre démarche, et fort de l’indignation suscitée par la brutalité de la répression du référendum par Madrid, en même temps qu’il a dû subir des pressions considérables de la part de membres de l’Union européenne, qui l’embarrassent. » Il n’est pas impossible que le réel objectif du gouvernement de Carles Puigdemont, après le chaotique référendum, ne soit pas tant de faire de la Catalogne un État indépendant, mais de conclure « un nouveau pacte entre Barcelone et Madrid », soupçonne Maxime Saint-Hilaire. Dans son discours devant le Parlement, Carles Puigdemont a d’ailleurs longuement insisté sur « les reculs » de la Catalogne au sein de l’Espagne depuis plusieurs années ainsi que sur « l’humiliation » essuyée dans ses tentatives de dialogue.

Maintenant, que se passera-t-il ? Quel dialogue peut-on envisager après de tels déchirements ?

Il sera difficile pour la Catalogne de mettre en application sa déclaration d’indépendance, prévient Maxime Saint-Hilaire. Même si « la réponse de Madrid le jour du référendum, et les jours d’avant, correspond vraisemblablement à une violation des droits fondamentaux » qui semble renforcer Barcelone, explique-t-il, cette violation n’est pas « massive » au point de « faire naître un droit à la sécession unilatérale ». La Catalogne n’est donc « pas dans une position aussi forte qu’on pourrait le croire ». De plus, même si les indépendantistes catalans aimeraient bien que l’Union européenne se commette, cela « lui est très difficile », note le professeur Saint-Hilaire, puisque « cette question ne fait pas partie de ses attributions ».

Si le dialogue échoue et que le Parlement catalan va de l’avant, comment l’indépendance entrera-t-elle en vigueur ?

« Le droit catalan n’existe pas en dehors du cadre du droit constitutionnel espagnol, qui n’admet pas une telle déclaration unilatérale », explique Maxime Saint-Hilaire. Techniquement, il faudrait donc, « comme en droit canadien, passer par la procédure de modification constitutionnelle, qui en l’occurrence prévoit plutôt la tenue d’un référendum national ». À défaut, la Catalogne aurait besoin d’une reconnaissance significative de la communauté internationale, qui s’est faite discrète sur la question. Cette reconnaissance serait d’autant plus importante dans le contexte européen, puisqu’« aucun État ne peut adhérer à l’Union s’il n’est pas reconnu par chacun de ses membres », précise Maxime Saint-Hilaire.

L’État catalan est-il prêt à être autonome ?

Les dirigeants indépendantistes admettent que la Catalogne n’est pas prête à fonctionner comme un État indépendant. « Aucun pays ne peut fonctionner de manière indépendante du jour au lendemain », a dit l’ex-président indépendantiste catalan Artur Mas. La région dispose de compétences en matière d’enseignement et de santé, et dispose de sa propre police, mais elle n’a pas en revanche la main sur les infrastructures ni la possibilité de prélever l’impôt. Ainsi, les grandes infrastructures portuaires et aéroportuaires, le réseau ferroviaire, les télécommunications et le réseau énergétique restent contrôlés par l’État central espagnol. La Catalogne ne peut pas non plus se financer directement sur les marchés internationaux, les agences de notation ne lui accordant pas de crédibilité en matière de remboursement. Elle dépend donc du Trésor espagnol pour ses liquidités. Or, celui-ci a décidé en septembre de prendre directement la main sur ses finances, ce qui fait qu’à la fin du mois d’octobre, elle n’aura plus de réserves propres, ou presque.

— Avec l’Agence France-Presse

Réactions au pays 

Gouvernement du Canada

« La question de la Catalogne est un enjeu interne pour l’Espagne, et nous encourageons les parties à trouver une solution dans le respect, dans la primauté de la règle de droit, et conformément à la Constitution espagnole. »

— Adam Austen, attaché de presse de la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland (Agence France-Presse)

Réactions au pays 

Couillard s’est entretenu avec l’ambassadeur d’Espagne

Philippe Couillard s’est entretenu de vive voix au cours des derniers jours avec l’ambassadeur d’Espagne à Ottawa ainsi qu’avec le consul général d’Espagne à Montréal pour offrir le soutien du Québec advenant une médiation internationale visant à trouver une solution à l’impasse politique en Catalogne, a indiqué hier le cabinet de Christine St-Pierre, ministre des Relations internationales. La ministre a pour sa part pris contact avec Andrew Davis, représentant du gouvernement catalan en Amérique du Nord, pour proposer l’aide du Québec dans un effort de dialogue entre les parties. — Hugo Pilon-Larose, La Presse

Réactions au pays 

« Une sage décision », dit Lisée

Le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a écrit sur les réseaux sociaux que la décision de suspendre la déclaration d’indépendance était « une sage décision de nos amis catalans ».

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

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