OPINION SUICIDE

Pourquoi 13 raisons nous inquiète

La série est captivante, mais plusieurs jeunes vulnérables au suicide ont été ébranlés par son visionnement

La série 13 raisons (13 Reasons Why), diffusée sur Netflix, connaît une popularité majeure. Cette fiction américaine qui traite du suicide d’une adolescente a été vue et sera vue par de nombreux jeunes québécois, parfois à l’insu de leurs parents. Ils en parlent abondamment à l’école et sur les réseaux sociaux, souvent avec beaucoup d’enthousiasme.

La série est en effet captivante, la qualité de sa réalisation est indéniable et elle traite de sujets importants dont le suicide, l’intimidation et les agressions sexuelles. Toutefois, plusieurs jeunes vulnérables au suicide ont été ébranlés par son visionnement. Déjà, des intervenants ont dû prendre des mesures d’urgence pour protéger certains d’entre eux. Les intervenants scolaires, les organisations en prévention du suicide et des parents sont inquiets.

D’entrée de jeu, ce ne sont pas les sujets traités qui causent le plus d’inquiétude, mais bien la façon dont ils le sont. Il est essentiel de parler du suicide et de sa prévention pour repérer les jeunes vulnérables et les diriger vers les ressources d’aide.

Mais il est tout aussi nécessaire d’en parler de façon prudente pour ne pas engendrer d’effets non désirés.

Voici quelques éléments qui doivent être connus.

• Des gens témoignent du fait que la série contribue positivement au débat et fait la lumière sur des problèmes importants. Il faut cependant tenir compte des gens suicidaires et souffrant de troubles de santé mentale. Leur état psychologique fait en sorte qu’ils ne perçoivent pas les messages et les images de la même façon. Le sujet est très bien documenté dans la littérature scientifique : le contenu de certaines œuvres peut fragiliser les personnes suicidaires et entraîner un passage à l’acte.

• Il existe un risque réel d’identification aux personnages. Des jeunes vulnérables au suicide peuvent s’identifier à Hannah, à l’un de ses problèmes ou à la manière qu’elle a choisie pour faire taire sa souffrance. Pourtant, la grande majorité des jeunes qui vivent des problèmes parfois très douloureux s’en sortent. On déplore des tentatives de suicide semblables à celle d’Hannah, en lien avec la série.

13 raisons présente des scènes très détaillées, dont le suicide d’Hannah. Ceci aurait été fait dans le but de ne pas glorifier le suicide (en montrant la douleur physique liée au geste par exemple), mais l’effet peut être contraire. Un jeune déjà vulnérable pourrait y voir un mode d’emploi.

• Dans la série, l’intervenant scolaire est inadéquat et semble peu sensible à la situation d’Hannah. En réalité, les intervenants sont soucieux de l’état psychologique des jeunes et sont généralement proactifs quand il est question du suicide.

Il est important que les jeunes sachent que si ça ne va pas, l’aide existe et elle fonctionne. 

Elle peut venir d’un intervenant scolaire, d’un centre de prévention du suicide, d’un psychologue, etc.

• La série laisse croire que nos actions ou notre inaction peuvent causer le suicide d’une autre personne. Le suicide est beaucoup plus complexe et multifactoriel. Un jeune pourrait se sentir injustement coupable du suicide d’un proche ou se mettre une responsabilité trop grande sur les épaules devant la détresse d’un ami.

La série n’est pas un outil de prévention du suicide. C’est particulièrement vrai avec des jeunes vulnérables au suicide ou en détresse psychologique. Comme parent, il serait prudent de savoir si votre jeune regarde ou a regardé la série. Si c’est le cas, il est important de dialoguer avec lui. Demandez-lui sans jugement comment il a réagi aux scènes de la série, s’il est inquiet pour un ami et s’il pense au suicide ou y a pensé. Rappelez que 13 raisons est une fiction, qu’il est possible de prévenir le suicide et que des ressources existent.

Le suicide est un sujet dérangeant dont on parle difficilement. Pourtant, c’est en en parlant que l’on peut démythifier ce sujet et parvenir à aider une personne suicidaire. Demander directement à une personne si elle pense au suicide, ce n’est pas lui suggérer l’idée, mais lui ouvrir la porte à l’expression de sa souffrance.

En tout temps, n’hésitez pas à communiquer avec la ligne de prévention du suicide 1 866 APPELLE (277-3553) et votre centre de prévention du suicide : www.aqps.info. Vous pouvez aussi en parler avec un intervenant dans les réseaux de la santé et de l’éducation ou à un psychologue.

Notre message principal n’est pas d’interdire, mais bien d’être vigilant, de resserrer le filet de sécurité, de repérer les personnes en détresse et de les accompagner vers du soutien. Il existe d’autres moyens que le suicide pour faire taire la souffrance.

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