CLIN D’ŒIL  STÉPHANE LAPORTE

Quel est le point commun entre le pétrole d’Anticosti et la blessure de Carey Price ? On ne sait pas vraiment où ils sont, mais on en parle beaucoup.

Opinion

Le triste 2e anniversaire de la Politique en itinérance

Il est essentiel que le gouvernement change son approche budgétaire, investisse de façon globale dans les programmes sociaux, en éducation et de façon spécifique dans les actions nécessaires en itinérance

Le 27 février marquera le deuxième anniversaire de l’adoption de la Politique nationale de lutte contre l’itinérance.

Une politique gagnée à la suite d’une longue lutte par le mouvement communautaire et saluée à sa sortie pour sa vision, son approche globale et la reconnaissance de droits à assumer. Cela sera cependant un triste anniversaire. Alors que cette politique était prometteuse, son déploiement se vit dans un contexte de coupes et de réformes qui non seulement n’ont pas réduit l’itinérance, mais contribuent au contraire à son développement.

Lors de son dévoilement, la ministre responsable de cette politique, Véronique Hivon, affirmait la volonté gouvernementale d’en finir avec « la tolérance de l’inacceptable qui nourrit cette idée commode qu’il y aura toujours des personnes en situation d’itinérance ».

Pour prévenir et réduire l’itinérance, cette politique identifie la nécessité d’agir dans cinq axes : le logement, la santé et les services sociaux, le revenu, l’éducation et l’insertion, la cohabitation et la judiciarisation.

« Ensemble pour éviter la rue et en sortir » est le titre de cette politique toujours à propos et signée de la main de 10 ministres interpellés par des actions nécessaires. « Ensemble pour faire que davantage de personnes se retrouvent à la rue » semble être cependant la stratégie du gouvernement Couillard.

LA SITUATION DANS LA RUE

Les constats sont unanimes, l’itinérance est en croissance. Le 17 février dernier à Montréal, les refuges destinés aux hommes sans abri atteignaient un taux d’occupation de 109 %. De leur côté, les refuges pour femmes avaient un taux d’occupation de 102 %.

Les visages de l’itinérance sont toujours aussi nombreux dans le centre-ville, mais se diversifient, avec une présence marquante des autochtones.

Le phénomène est aussi de plus en plus noté dans Hochelaga, où des ressources, refuges et haltes-chaleur ont dû être développés. Et, même si c’est moins visible, le phénomène est également présent sur le Plateau Mont-Royal, dans Côte-des-Neiges, dans le Sud-Ouest et même dans l’Ouest-de-l’Île.

En décembre 2014, le gouvernement Couillard annonçait l’adoption du Plan d’action interministériel en itinérance 2015-2020, une adoption saluée avec un contenu allant dans le sens de la politique, mais sans les moyens nécessaires.

Il furent aussi dès lors soulignées les menaces que la politique d’austérité faisait peser sur les actions à mener pour contrer l’itinérance dans différents champs. La dernière année a montré que ces craintes étaient plus que fondées.

En matière de pauvreté, le gouvernement a réduit l’accès aux programmes de réinsertion, en particulier pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, dont les personnes itinérantes. En mars 2013, 3872 personnes bénéficiaient ainsi du programme d’aide et d’accompagnement social (PAAS Action), contre seulement 2767 aujourd’hui.

Le règlement adopté à l’aide sociale réduisant les prestations des personnes se retrouvant en centre de traitement des dépendances a grandement diminué l’accès à ces centres, contribuant à fragiliser une des interventions reconnues par la Politique en itinérance.

Avec son projet de loi 70, le gouvernement menace de couper les prestations de ceux qui ne pourront s’y insérer. La Politique en itinérance, elle, identifie le besoin de hausser les prestations des personnes seules, dont le 623 $ par mois ne suffit pas pour se sortir de la rue ou l’éviter.

Au niveau de la santé, la réorganisation du réseau, qui est responsable tant nationalement que régionalement du déploiement de la politique, a grandement retardé les travaux, et les actions identifiées dans la politique sont loin d’avoir l’appui adéquat.

C’est en logement social que l’action contraire à la Politique en itinérance est la pire, avec la réduction de 3000 à 1500 du nombre de nouvelles unités du programme AccèsLogis, ce pour tout le Québec. Pour Montréal, la part du dernier budget destinée à de nouveaux logements pour sans-abri est de seulement 55 logements, soit même pas la moitié du nombre d’hommes qui font la file tous les jours à la Maison du Père. De plus, tout en ayant réduit le budget de construction par unité, le gouvernement menace maintenant la survie d’AccèsLogis qui a pourtant fait ses preuves comme moyen de lutter contre la pauvreté et l’itinérance.

Les coupes en éducation ont aussi un impact important, en particulier au niveau du soutien aux élèves en difficulté. Le faible secondaire 3, qui constitue le niveau de scolarité de bien des personnes se retrouvant dans les ressources en itinérance, risque fort de perdurer.

EN FINIR AVEC L’AUSTÉRITÉ

Alors que la semaine dernière les chiffres de la Ville de Montréal démontraient un débordement des ressources en itinérance, les données du ministère des Finances annonçaient un surplus de 1,8 milliard pour l’exercice en cours. Ce surplus s’est constitué sur le dos de larges pans de la population.

Il est essentiel que le gouvernement change son approche budgétaire, investisse de façon globale dans les programmes sociaux, en éducation et de façon spécifique dans les actions nécessaires en itinérance, et ce dans tous les ministères concernés.

* Les auteurs ont été membres du Comité consultatif du gouvernement du Québec ayant mené à l’adoption de la Politique nationale de lutte contre l’itinérance.

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