Chronique

Gabriel Nadeau-Dubois, héros de roman

Les auteurs de Tenir parole ont beau mettre un avertissement au début de leur roman affirmant que « tous les personnages, les évènements, les actions et les noms utilisés sont fictifs », reste qu’il est difficile de ne pas croire que le Gabriel de leur histoire est exactement celui qui fut à la tête de la fameuse grève étudiante de 2012.

Ainsi donc, à 26 ans, Gabriel Nadeau-Dubois devient le héros d’une œuvre romanesque. Il lui appartient maintenant de décider si cela est un honneur ou le contraire.

Clément Courteau et Louis-Thomas Leguerrier, les deux auteurs de ce roman qui arrivent sur les rayons des librairies cette semaine, se sont lancés dans l’écriture de cette fiction quelques mois seulement après les évènements rebaptisés « le printemps érable ».

Les deux jeunes auteurs ont vécu ces évènements, mais ils ne faisaient pas partie de l’entourage de Gabriel Nadeau-Dubois. Ils étaient plutôt avec le groupe Hors-d’Œuvre, un collectif plus radical qui aurait souhaité que les choses aillent autrement à bien des égards. « Nous étions à gauche de la gauche », m’a dit Louis-Thomas Leguerrier.

Pour tout dire, ce collectif ne faisait pas bon ménage avec les ténors de la grève. Il trouvait que les leaders étaient mous et trop conciliants. Plusieurs frictions ont eu lieu entre ce collectif révolutionnaire et les autres groupes impliqués dans la grève. Je m’attendais donc à un véritable règlement de comptes à l’égard du leader que fut Gabriel Nadeau-Dubois. Ce n’est tout à fait le cas. 

Gabriel, le personnage principal, est présenté comme un être passionné, idéaliste, prêt à déplacer les montagnes. Mais aussi comme quelqu’un de déchiré entre son rôle de porte-parole très demandé et celui de militant qui a envie de monter aux barricades avec force et vigueur.

« Je n’ai plus le temps de jouer à la démocratie directe avec eux », dit-il à propos des camarades qui se sont lancés avec lui dans cette lutte historique.

Le roman nous fait entrer dans la tête de Gabriel et il a recours à l’utilisation du « je » pour atteindre son but. C’est donc Gabriel qui nous parle, qui nous fait part de ses interrogations, de ses doutes, mais aussi de ses élans sentimentaux. Plusieurs passages sont consacrés à ses parents, car Gabriel est fils de militants (les assemblées syndicales de son père faisaient office de garderie).

Un homme brisé

Mais attention, n’allez pas croire que le héros est uniquement lisse et irréprochable. On découvre aussi un être opportuniste (l’épisode où il se faufile entre Léo et Martine pour être accueilli à Tout le monde en parle) et un jeune homme conscient de son charme et soucieux de son apparence. « J’escalade la barricade aussi vite que je peux, en faisant bien attention de ne pas tacher ma chemise blanche : si j’arrive en haut sans me casser la gueule, je veux être présentable devant la caméra », peut-on lire.

Au début du roman, Gabriel se montre inébranlable. « Je serai le rocher sur lequel viendra se briser la vague médiatique. » Mais plus le récit avance, plus les évènements défilent et plus le jeune homme devient un être fourbu, brisé, distant et mélangé.

Bien sûr, les dialogues sont le pur fruit de l’imagination des auteurs. Gabriel et ses amis qui se font « payer des soupers au restaurant par le docteur Khadir » et se « font engraisser aux frais de Québec solidaire » ont parfois des échanges virulents entre eux qui tendent à démontrer que les protagonistes de ce mouvement ne regardaient pas tous dans la même direction.

Le récit s’appuie sur les évènements qui ont composé la grève étudiante (c’est l’intérêt de l’œuvre, mais aussi sa faiblesse – ne vous attendez pas à des rebondissements ou à un punch final). Les manifestations de Victoriaville, du Palais des congrès et du cégep de Sainte-Foy font évidemment partie de la trame. Mais l’action est ici secondaire dans ce roman introspectif qui nous fait réfléchir sur le rôle de ce mouvement et ses retombées.

Fait surprenant pour une écriture à quatre mains, celle-ci donne un récit cohérent et semble provenir d’une seule tête, d’une seule âme. Les deux jeunes auteurs (Courteau est étudiant en lettres françaises à l’Université McGill et Leguerrier est doctorant en littérature comparée à l’Université de Montréal) ont un talent certain.

On retient de ce roman la maîtrise de l’écriture et la pertinence du tableau qui est brossé. Cela demeure, bien sûr, un point de vue personnel et subjectif. Et une œuvre de fiction. Ce fameux « printemps érable » qui était relié au départ à une génération en particulier appartient maintenant à tout le monde, notamment aux créateurs qui en font des films et des romans.

N’est-ce pas ainsi qu’un évènement atteint le degré légendaire ?

Tenir parole

Clément Courteau et Louis-Thomas Leguerrier

Anika Parance Éditeur

229 pages

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