Hockey Entrevue avec Martin Madden junior

D’ingénieur municipal à architecte des Ducks

Martin Madden fils était loin de se douter, à 23 ans, alors qu’il était assistant d’ingénieur municipal à Sainte-Anne-de-Bellevue, qu’il deviendrait une vingtaine d’années plus tard l’un des principaux architectes d’une puissance de la LNH.

C’est pourtant le cas. Même si les Ducks d’Anaheim occupent la 22e place de la LNH au chapitre de la masse salariale, même s’ils se débrouillent souvent avec les moyens du bord, à l’image des Expos de l’époque, l’équipe a terminé l’an dernier parmi les trois meilleures formations au classement pour la deuxième saison de suite.

Son prédécesseur à Anaheim, Alain Chainey, a construit l’attaque en repêchant Corey Perry et Ryan Getzlaf en 2003. Madden, l’un des deux directeurs du recrutement francophones de la LNH, avec Guy Lapointe au Minnesota, a rebâti la défense en recrutant les gardiens Frederik Andersen, John Gibson et les défenseurs Cam Fowler, Sami Vatanen et Hampus Lindholm. D’autres bons jeunes attendent dans l’ombre.

« Nous n’avons pas un gros groupe de recruteurs à Anaheim, mais c’est le même depuis mon entrée en poste en 2008, et j’en suis fier », dit-il.

Même s’il a baigné dans le hockey toute son enfance, avec un père directeur général des Nordiques de Québec, puis directeur du recrutement chez les Rangers de New York, Martin Madden fils ne se destinait pas à une carrière dans le hockey.

« Comme tout jeune hockeyeur qui possède un peu de talent, j’en rêvais. Jusqu’à mon année midget AAA. J’espérais toujours grandir. Mais il y avait beaucoup de joueurs qui avaient autant de talent que moi et ça m’aurait pris plus que deux pouces pour passer. J’étais très bon élève, et pour mon père, c’était clair qu’il n’allait pas m’ouvrir de portes pour faire du recrutement. J’étais bien trop jeune. »

Madden ne savait pas encore ce que la vie lui réservait à la fin de l’adolescence, mais il aimait les sciences et les mathématiques. Il s’est donc tourné vers le génie civil à l’université.

« Mon père pensait que je suivrais mon propre chemin sur le plan professionnel. Moi aussi. Je croyais que je me destinais à une carrière d’ingénieur. »

Il a travaillé chez Hydro-Québec Construction pendant ses études à McGill, puis comme assistant d’ingénieur municipal, mais la passion n’y était pas. Le milieu de la finance l’intéressait désormais. Il s’est inscrit aux HEC pour faire son MBA, rêvant de travailler sur un parquet. Il avait 23 ans.

L’intérêt du jeune Madden pour le hockey restait intact et les discussions animées ne manquaient pas avec le paternel.

« Les Rangers de New York cherchaient quelqu’un pour couvrir le tournoi des moins de 17 ans à Val-d’Or, pendant les fêtes, et comme je posais des questions de plus en plus persistantes à mon père, on m’a offert de payer mes déplacements en échange de rapports détaillés. »

Madden devait y faire une rencontre importante, celle de Clément Jodoin, sur le point d’être nommé directeur général et entraîneur des Mooseheads d’Halifax, dans la LHJMQ.

« Normand Poisson a été nommé recruteur en chef des Mooseheads. Il me connaissait, alors il m’a demandé de l’aider un peu. Parallèlement à mes études aux HEC, je remplissais pour lui de la paperasse, j’établissais des contacts avec les jeunes, je l’aidais à préparer son repêchage. »

Premier salaire de Martin Madden fils : 1000 $… pour la saison entière ! « J’étais quand même chanceux : certains autres recruteurs étaient payés en casquettes et en coupe-vents, raconte-t-il. J’ai fait beaucoup de kilométrage avec ma vieille Daytona. Ce n’était pas l’emploi le plus payant, mais ça a été une bonne première école. Je ne pouvais pas mieux tomber que sur Clément, qui adore faire le professeur. Ça a été trois superbes années. »

Martin Madden fils attendait toujours des nouvelles d’une banque pour un poste lorsqu’est tombée l’offre des Rangers de New York, pour qui il travaille encore sporadiquement.

Il allait y occuper un emploi sept ans durant. Une expérience enrichissante, mais parfois frustrante.

« Quand tu commences, tu donnes ton opinion sur ce que tu vois, mais tu ne parviens pas toujours à passer ton message. »

« Il faut comprendre comment avoir un impact sur le groupe, sans en avoir un trop gros non plus, parce que tu n’as pas une vision globale de la situation. Tu connais seulement les joueurs sur ton territoire. »

À sa première année chez les Rangers, il a tenté de convaincre ses patrons de repêcher Alex Tanguay ou Simon Gagné, qu’il suivait depuis le bantam.

« Je n’ai pas trop poussé, car je connaissais seulement les joueurs du Québec et j’étais nouveau au sein du groupe. Finalement, on a repêché Manny Malhotra au septième rang. En plus, il était cinquième sur notre liste. Tanguay et Gagné se situaient autour du vingtième rang sur nos listes globales. »

Quatre ans plus tard, en 2002, il digérera moins bien qu’on boude Maxime Talbot malgré ses vives recommandations.

« Il était à la bonne place, au moment de nos choix, et au dernier moment, ils ont décidé de prendre une autre direction. Pour un choix de huitième ronde, il a connu une excellente carrière. On l’avait inscrit beaucoup plus haut sur nos listes et on est passés par-dessus trois fois. C’est correct, ça arrive. Moi aussi, comme chef, j’ai fait quelques erreurs de ce genre. »

Aucun des huit joueurs repêchés par les Rangers en 2002 ne s’est accroché à la LNH, si ce n’est Peter Prucha, qui a connu une bonne saison avant de s’éteindre.

Martin Madden fils vivra la même situation à sa première année dans l’organisation des Hurricanes, en 2005.

« Je croyais beaucoup en Kristopher Letang, tu peux en parler à Jim Rutherford. On a préféré un défenseur au profil semblable [Nate Hagemo]. Le pauvre, il n’a pas eu de chance, il a eu des ennuis de santé. »

Les Hurricanes avaient d’abord choisi Jack Johnson au troisième rang au total, puis Hagemo en deuxième ronde. Celui-ci a joué quelques matchs dans la Ligue de la côte Est et quelques matchs dans la Ligue centrale avant de disparaître, sans même passer près d’entrer dans la Ligue américaine.

« On a raté Kristopher Letang, mais il reste que de telles situations t’aident à t’établir et à gagner la confiance de tes pairs. La fois suivante, on t’écoute davantage. »

En 2008, les Ducks procèdent à un remaniement majeur. « Le directeur du recrutement, Alain Chainey, ne voulait plus voyager autant. Il m’a recommandé au directeur général Bob Murray. Alain et moi avons collaboré la première année en 2008, puis j’ai pris les rênes. »

Parmi ses coups de maître, le choix du défenseur Sami Vatanen en quatrième ronde en 2009, lors du repêchage au Centre Bell. Vatanen, 24 ans, a obtenu 37 points en seulement 67 matchs, la saison dernière, et ajouté 11 points en 16 matchs lors des séries.

« Vatanen était petit, vraiment petit. L’impact du lock-out se faisait sentir au niveau de la Ligue, mais il y avait encore de petits joueurs qui étaient boudés. Il avait connu une bonne saison, mais il avait surtout brillé lors du dernier tournoi international en avril. On aimait sa vitesse, sa confiance. Je me souviendrai toujours de notre interview avec lui. Pour conclure l’entretien, je lui ai mentionné que notre DG n’était pas friand des petits défenseurs et je lui ai demandé ce que je devrais faire pour convaincre mon patron de le choisir. Il m’avait répondu : “Dis-lui seulement de venir me voir jouer…” C’était dit avec une telle assurance, à la limite de l’arrogance, mais ça n’était pas déplacé. »

L’année suivante, Madden a reçu un cadeau du ciel. Le défenseur Cam Fowler, classé troisième sur sa liste, était encore disponible au 12e rang.

Les Panthers de la Floride lui ont préféré Erik Gudbranson au troisième rang, le Lightning a repêché Brett Connolly au sixième, les Thrashers d’Atlanta Alexander Burmistrom au huitième, Dallas a pris le gardien Jack Campbell et les Rangers le défenseur format géant Dylan McIlrath. Ces deux derniers ont disputé quatre matchs au total dans la LNH, tandis que Fowler est le défenseur numéro un des Ducks.

« Certaines équipes le trouvaient un peu trop peu robuste, faible défensivement. Ça faisait deux ans qu’on le voyait jouer, au sein d’un super club à Windsor. Il n’avait peut-être pas terminé la saison au sommet, mais son match contre le Canada à Saskatoon au Championnat mondial m’a prouvé qu’il pouvait résister à la pression. »

Avec Vatanen, Fowler, Hampus Lindholm et aussi Simon Després, l’avenir des Ducks est assuré en défense. Les gardiens sont jeunes et talentueux. Il reste l’attaque, puisque Getzlaf, Perry et Kesler ont tous atteint la trentaine.

« C’est notre prochain défi au cours des prochains repêchages. Nous avons Rackell qui pourra prendre une place, mais ça n’est pas Getzlaf. Des Getzlaf, ça ne court pas les rues. »

Qui constitue la grande référence à ses yeux ? « Les Devils du New Jersey ont fait tout un travail durant les années 90. Leur approche était particulière avec leur nombre de choix de deuxième ronde. C’était clairement une stratégie, et il a fallu du temps avant que d’autres équipes ne les imitent. [David Conte] ne me l’a jamais dit, mais manifestement, il trouvait plus fructueux d’avoir plusieurs choix de deuxième ronde que de s’attarder sur un choix plus lointain en première. Il identifiait clairement des groupes de joueurs en qui il voyait un talent similaire. C’est toujours mieux d’avoir deux boules dans le boulier qu’une seule. Mais encore, il faut repêcher les bons… »

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