Étude

En finir avec le temps d’écran ?

Il faut arrêter de paniquer avec le temps d’écran, clame Jordan Shapiro, auteur du livre The New Childhood. Paniquer, peut-être pas, mais limiter, assurément, nuance la chercheuse Sheri Madigan, de Calgary, qui vient de publier une étude sur l’impact des écrans sur le développement des 2 à 5 ans.

Lorsqu’il aborde les questions de l’utilisation des appareils électroniques par les enfants et du temps d’écran qu’on leur accorde, l’Américain Jordan Shapiro n’y va pas par quatre chemins : des conclusions hâtives sont tirées de données insuffisantes, les changements technologiques ont toujours fait peur aux gens, les parents sont désinformés et, contrairement à ce qu’affirment des associations de pédiatres, il ne faut pas fixer de limites aux enfants. Bref, à l’entendre, tout ce qu’on croit savoir à ce sujet est faux.

« Sa position n’a rien de controversé. Il est parfois nécessaire de se reposer certaines questions », convient d’emblée Linda S. Pagani, professeure titulaire au département de psychoéducation de l’Université de Montréal. Elle estime en revanche que si les discours alarmistes « n’aident pas la cause », les gens qui se préoccupent du temps que les enfants passent devant un écran n’ont pas tort pour autant.

« Il est très clair que ceux qui passent beaucoup de temps devant les écrans ont une moins grande tolérance à l’effort soutenu. »

— Linda S. Pagani, professeure titulaire à l’Université de Montréal

Jordan Shapiro, dont l’essai The New Childhood : Raising Kids to Thrive in a Connected World fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, estime que les enfants devraient utiliser les médias sociaux beaucoup plus tôt et qu’il faudrait jouer aux jeux vidéo avec nos petits. Surtout, plutôt que de limiter le temps d’écran – et de passer tout ce temps à négocier avec leur progéniture –, les parents devraient faire une plus grande place aux écrans dans les activités familiales.

Trop, c’est trop

Des études suggèrent que les médias numériques plus interactifs et le visionnement accompagné (coviewing) permettent de « mitiger les effets [néfastes] du temps d’écran sur le développement des enfants », concède Sheri Madigan, chercheuse en psychologie de l’Université de Calgary. Or, ses propres recherches le confirment : les enfants qui passent beaucoup de temps devant un écran entre 2 et 5 ans ne développent pas suffisamment leur motricité, leurs capacités langagières et leurs aptitudes à résoudre des problèmes.

Sa plus récente étude, publiée dans le JAMA Pediatrics, montre que les enfants canadiens dépassent largement les limites de temps d’écran recommandées par la Société canadienne de pédiatrie (SCP). Au lieu d’une heure par jour au maximum entre 2 et 5 ans, ils passent en moyenne 2,5 heures devant un écran à 2 ans et 3,6 heures à 3 ans. L’ampleur de l’écart entre les lignes directrices de la SCP et la réalité a beaucoup surpris la chercheuse albertaine et son équipe, qui suivent une cohorte d’environ 2500 enfants depuis le berceau.

Les facteurs qui influent sur le développement d’un enfant sont multiples, convient la chercheuse, qui cite notamment la condition économique des parents, l’activité physique et le sommeil. « L’intérêt de cette étude réside dans les preuves fortes que trop de temps passé devant un écran est lié à des retards dans le développement, soutient-elle toutefois. On a mis l’accent sur le temps d’écran et on peut dire que, nonobstant les autres facteurs, [ce retard], c’est l’impact du temps d’écran. »

Une bonne raison de s’intéresser au temps passé devant un écran, selon Sheri Madigan, est que c’est un élément sur lequel il est possible d’agir. Elle encourage les parents à le limiter autant que possible et, comme le suggère aussi Jordan Shapiro, à partager avec leur enfant cette heure que les petits passeront devant la télé ou la tablette.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.