+ Fort : pour lutter contre l’intimidation

L’Institut universitaire en santé mentale de Montréal a lancé jeudi sa nouvelle application mobile pour aider les jeunes victimes d’intimidation. + Fort, mise au point par l’École de technologie supérieure (ETS), propose aux jeunes des stratégies adaptées visant à mettre fin à des gestes d’intimidation qui n’en finissent plus.

Un jeune sur cinq est victime d’intimidation, laisse savoir Isabelle Morin-Ouellet, chercheuse à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeure au département de criminologie de l’Université de Montréal. Une situation qui, à long terme, peut entraîner des problèmes de santé mentale et de comportement.

« Les gestes d’intimidation peuvent causer une grande souffrance aux jeunes, nous a expliqué Isabelle Morin-Ouellet. Des jeunes souvent isolés parce qu’ils sont nombreux à ne pas vouloir parler de leurs expériences à un adulte. Malheureusement, dans ce contexte, on se rend compte qu’il y a peu d’outils pour leur venir en aide. »

C’est ce qui a motivé la criminologue à créer cette application mobile gratuite. Une façon de rejoindre directement les jeunes âgés de 12 à 16 ans (qui possèdent bien sûr des appareils mobiles !) pour les aider à se sortir par eux-mêmes ou grâce à des ressources extérieures de situations parfois toxiques.

Une fois inscrits, les jeunes peuvent visionner des vidéos explicatives qui mettent en vedette des comédiens : Marie-Claude St-Laurent, Frédérique Dufort, Yan England ou Jasmin Roy. De petites capsules qui traitent des différentes formes d’intimidation en insistant sur ce message : certains gestes sont inacceptables.

DES STRATÉGIES ADAPTÉES

Mais le cœur de l’application réside dans sa capacité à proposer des stratégies en fonction des situations vécues par les jeunes. Il faut d’abord décrire son expérience – en répondant à une dizaine de questions. Le système analyse les réponses et propose des stratégies : réagir à l’intimidateur, en parler à un ami, modifier son cercle d’amis, etc.

Le seul hic, c’est qu’avant de recevoir des stratégies personnalisées, il faut remplir le questionnaire au moins deux fois (l’utilisateur étant limité à un questionnaire par jour, il devra attendre au moins deux jours). Cela dit, s’il espère une aide immédiate, il peut toujours consulter l’ensemble des stratégies (en vrac) proposées par le système.

Là ne s’arrête pas l’aide offerte par + Fort. Une fois les stratégies proposées, l’utilisateur est invité à « accepter » ces stratégies. Vingt-quatre heures plus tard, + Fort fait un suivi : comment tu te sens maintenant ? L’utilisateur est encouragé à évaluer les stratégies. Il peut même en ajouter des nouvelles de son cru.

« Tout cela devrait permettre de mieux outiller des jeunes qui ne savent pas comment se sortir de certaines situations ou alors qui minimisent les gestes commis à leur endroit », a précisé Isabelle Morin-Ouellet. + Fort permet aussi de voir si l’intimidation s’aggrave ou si elle s’atténue. Dans certains cas, le système va jusqu’à proposer de « parler à la police ».

UNE ÉTUDE CONCLUANTE

Une étude réalisée auprès d’une cinquantaine d’utilisateurs de l’application + Fort indique que les expériences d’intimidation (en ligne et hors ligne) avaient diminué de moitié après cinq semaines d’utilisation. Cette même étude indique également que les utilisateurs finissent majoritairement par briser le silence en faisant part de leurs expériences à un adulte.

Manon* s’est servie de l’application l’an dernier dans le cadre de cette étude – elle était en 4secondaire dans une école de la Rive-Sud. Elle explique avoir été agressée verbalement, insultée, ignorée et mise à l’écart pendant près de trois ans. Pourquoi ? La jeune fille, précoce, avait des relations sexuelles et faisait l’expérience de certaines drogues.

« Ça aurait pu me rendre populaire, même si ce n’était pas mon but, mais ça m’a isolé, nous a confié Manon. Une fille qui a des relations avec des garçons est une traînée, mais les gars qui se vantent d’avoir couché avec des filles sont des héros et se font beaucoup d’amis. On ne leur reprochera jamais ces expériences-là. Je ne comprends toujours pas ça… »

Dans son cas, l’application + Fort lui a fourni deux précieux conseils : d’abord de lâcher prise et de ne pas trop accorder d’importance à certaines insinuations. Puis, d’en parler à une intervenante de l’école, qui l’a écoutée et conseillée. Elle a même consulté une psychologue (hors de l’école), une démarche qui a été très bénéfique pour elle.

« Les gestes d’intimidation, on en voit tout le temps, indique Manon. Tous ceux qui sont différents, qui ne sont pas cools ou qui ne font pas partie d’une gang, ils sont faits, a-t-elle constaté. Dans mon école, j’ai l’impression que ça s’est amélioré un peu, que les gens sont plus respectueux, mais c’est encore très présent. »

A-t-elle songé à changer d’école ? « Oui, a-t-elle répondu. Mais mes parents [à qui elle s’était confiée] n’étaient pas d’accord. Aujourd’hui, je ne le regrette pas, dit la jeune fille qui termine son secondaire. Je suis quand même fière d’être restée et d’être passée au travers. En ce moment, je suis bien entourée et tout va bien. »

Une section « clavardage » est accessible aux utilisateurs qui ont rempli au moins 10 fois le questionnaire. Elle permet aux membres de + Fort de discuter entre eux. Attention : ces conversations ne sont pas privées. Un modérateur s’assure que les discussions sont respectueuses et qu’il n’y a pas… d’intimidation sur l’application !

+ Fort est actuellement offerte sur les plateformes d’Apple (iPhone, iPod et bientôt iPad). La version Android (sans doute la plus souvent utilisée par les jeunes étant donné le coût moins élevé) sera offerte seulement au printemps 2017. Un guide destiné aux parents se trouve déjà sur le site web de l’application.

* Prénom fictif. Pour se confier en toute liberté, Manon a requis l’anonymat.

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