Chronique

Si l’école était importante (7)

Des centaines de profs, de parents et de professionnels ont commencé à m’écrire depuis que j’ai entrepris cette série ponctuelle sur l’école, au printemps. Je n’exagère pas : j’ai reçu des centaines de témoignages, par l’entremise de mon courriel de La Presse et de ma page Facebook.

Cette masse de témoignages trace les contours de l’école québécoise, telle que vécue en 2015. C’est un « focus group » incomparable. Merci à tous ceux qui éclairent mes lanternes.

Bref, quand je compare l’essence de ces témoignages sur l’école en notre temps à ce que le ministre de l’Éducation François Blais dit de cette école, je constate un décalage énorme.

Je me demande, en fait, à qui parle François Blais pour se faire une idée de l’école de 2015.

J’ai donc posé la question à son cabinet : à qui parle-t-il ?

Réponse : on m’a fait suivre la liste de tout ce que le monde de l’éducation compte d’associations de cadres machins, de fédérations de ci et de ça…

Ce qui est fort bien. Mais je parle aussi à des gens qui sont présents dans les organismes cités par le cabinet de M. Blais et… et ça ne colle pas aux témoignages que je collige depuis des mois.

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Patrice Roy a demandé à M. Blais, lors d’une entrevue au Téléjournal le 28 septembre dernier, à quand remontait sa dernière rencontre avec « du vrai monde », dans une « vraie salle de classe »…

Réponse du ministre de l’Éducation du Québec : « J’en rencontre tous les jours. »

On peut penser que quelqu’un qui rencontre « tous les jours » du vrai monde qui travaille dans de vraies salles de classe ne soit pas à court d’exemples pour montrer à quel point il est branché sur l’écosystème qu’il est censé représenter…

Voici pourtant la suite de la réponse de M. Blais : « Encore hier, je faisais des courses et il y a une enseignante qui est venue me voir pour me parler de sa situation… »

Vous avez bien lu. De tous les exemples qu’il aurait pu citer pour montrer qu’il est en phase avec le milieu qu’il chapeaute, le ministre François Blais cite une enseignante qui l’a accosté pendant qu’il faisait ses courses et qui, s’il faut le croire, a pu en apprendre beaucoup sur les positions gouvernementales, en écoutant le ministre !

Je souligne au passage que M. Blais, en 222 jours comme ministre de l’Éducation, n’a pas encore visité une école de la plus grande et la plus complexe commission scolaire de la province, j’ai nommé la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

Ça aussi, c’est consternant de déconnexion. J’ai demandé à son cabinet quand il visiterait une école de la CSDM. Réponse : « Lorsque ce sera possible à l’agenda. »

Je ne suis pas le seul à être consterné : Claude Whiting, prof d’éducation physique à l’école secondaire Louis-Joseph-Papineau, dans Saint-Michel, a été tellement ébranlé par la réponse de François Blais à la question de Patrice Roy qu’il a décidé de faire une vidéo de 22 minutes pour lui parler de sa réalité, vidéo que j’ai reçue hier. « Vous ne passez pas le test, avec cette réponse-là, Monsieur le ministre », lui lance M. Whiting, avant de pointer sa caméra sur le gymnase décrépit de son école, dont le plafond qui tombe – littéralement – en ruine. Une honte, qui rappelle la somme du déficit d’infrastructures des 200 écoles de la CSDM : 1,1 milliard.

Peut-être que ceci commence à expliquer cela : puisqu’il y a comme un mur de Berlin entre lui et le plancher des écoles, le ministre finit fatalement par dire des sottises. Comme : les-compressions-n’ont-pas-d’effet-dans-le-réel. Comme : réinvestir en éducation à ce moment-ci serait – je cite – « maladroit ».

À la fin du mois de septembre, le Parti libéral a organisé le troisième Forum des idées, portant sur l’éducation. Le ministre Blais, bien sûr, était présent. Des dizaines de personnes ont réfléchi à voix haute sur « un système d’éducation pour le XXIe siècle », titre choisi pour ce Forum.

En vrac : il y avait un chroniqueur du JdeM, un haut fonctionnaire du ministère de l’Éducation de l’île Maurice, un ancien doyen de la faculté de l’éducation de l’Université de Toronto, une ancienne directrice d’école, un philosophe de l’Université Laval, la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, le directeur de la Caisse des allocations familiales de Paris, un tromboniste de l’Orchestre symphonique de Laval, un des Dragons, la directrice des services professionnels de la Commission scolaire de Laval, Jasmin Roy…

Mais de tous les experts invités à penser à voix haute sur l’école, pas un seul enseignant actif. Pas un !

Pas un seul prof qui, la veille, était dans une vraie classe d’une vraie école avec de vrais élèves qui font face à de vrais enjeux, au Québec.

Je répète : pas un seul.

J’espère que le ministre de l’Éducation a été émerveillé par le fonctionnaire mauricien, le type des allocations familiales parisiennes et le soliste lavallois, par contre.

***

J’écoute M. Blais parler, depuis 222 jours. Il a l’air moins éparpillé que son prédécesseur Yves Bolduc. Mais justement, je commence à penser que c’est juste un air qu’il se donne : les formules creuses, lorsqu’elles sont prononcées d’une voix grave et autoritaire, ont bizarrement le don d’avoir l’air moins creuses…

L’école ne va pas bien. Vous le savez. Je le sais. Plus que jamais, le Québec a besoin d’un ministre qui fasse de l’éducation sa mission divine, sa vocation. Quelqu’un qui va faire, à l’interne, une vraie bataille pour l’école. Je ne parle pas seulement de se battre pour des budgets, bien que cela fasse partie de l’équation.

J’aimerais vous dire que François Blais est ce ministre dont le Québec a besoin et peut-être que ce ministre se révélera avec le dépôt de son projet de loi sur la gouvernance. On verra. Mais pour l’instant, je ne vois qu’un ministre de l’Éducation qui porte les valises de Martin Coiteux, président du Conseil du trésor.

Et qui les porte avec enthousiasme.

C’est une bonne nouvelle pour M. Coiteux. Mais c’est une mauvaise nouvelle pour les écoles.

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