Chronique

L’Université de Montréal revient de loin

Les Carabins disputent aujourd’hui la finale de la Coupe Vanier. Notre chroniqueur relate la surprenante histoire du sport d’élite à l’Université de Montréal. Et raconte combien une femme de cœur, croyant à la réussite universitaire et sportive, a joué un rôle essentiel dans son succès.

À l’automne 1997, le sport d’excellence tente péniblement de retrouver sa place à l’Université de Montréal. Victime depuis des années de préjugés défavorables et de coupes budgétaires, ce programme n’a guère de panache.

Les difficultés, déjà nombreuses, montent d’un cran en raison des exigences de la démocratie étudiante. Pas question de poursuivre cette aventure, jugée élitiste par certains membres de la communauté universitaire, sans soumettre l’idée à une consultation. Un référendum est organisé.

Le libellé de la question n’est guère prometteur pour le camp du Oui. On demande aux étudiants s’ils acceptent qu’une somme de 100 000 $ financée à même leurs cotisations serve à appuyer « une soixantaine d’athlètes » pratiquant leur sport à un niveau supérieur.

Manon Simard, jeune directrice bénévole du petit programme relancé deux ans plus tôt (deux équipes de volleyball et une autre de natation), fonce dans la bataille avec énergie. Elle-même championne nageuse, elle avait plaidé sans relâche pour un soutien accru aux athlètes de premier plan durant ses études à l’université.

Fraîchement titulaire d’une maîtrise des Hautes Études commerciales, elle gagne alors sa vie comme chargée de cours au premier cycle, après avoir longtemps arrondi ses fins de mois comme sauveteuse à la piscine.

Son budget de fonctionnement est si modeste que les équipes de volleyball des Carabins se font regarder de travers à Québec lors des affrontements contre l’Université Laval. C’est quoi, ces misérables t-shirts endossés par des sportifs représentant leur établissement ? L’Université de Montréal est-elle vraiment si cassée ?

Le sport a toujours été au centre de la vie de Manon Simard. Mais une autre passion l’habite : la politique. Son père, directeur d’école à Baie-Comeau, est un citoyen engagé. Son oncle, Lucien Lessard, a été ministre dans le cabinet de René Lévesque. Elle-même a obtenu son baccalauréat en sciences po.

Avec ce profil, l’idée d’un référendum ne la chavire pas. Quelle belle chance de mettre en valeur les notions apprises sur les bancs d’école et dans les conversations de famille !

Un matin, s’adressant aux étudiants de son cours de gestion, Manon Simard lance : « Le projet de session, c’est une campagne référendaire ! »

L’affaire est menée rondement : visites tapageuses dans les salles de cours les plus remplies (il faut frapper massivement, tranche-t-elle), muffins commandités par des sympathisants, athlètes conscrits pour brandir des pancartes, discours de mobilisation, opération de sortie de vote… Huit semaines plus tard, le Oui remporte 60 % d’appuis !

L’impact de cette victoire va bien au-delà des considérations pécuniaires. Elle signifie d’abord que le sport d’excellence retrouve enfin son droit d’exister à l’Université de Montréal. Par leur vote, les étudiants ont reconnu que le soutien à l’élite ne menace pas le « sport pour tous ». Les deux concepts peuvent coexister paisiblement.

En 2002, dans la foulée de cette nouvelle légitimité, l’équipe de football des Carabins reprend vie. Et aujourd’hui, elle disputera la Coupe Vanier au stade Percival-Molson.

Lorsque le coup d’envoi sera donné, Manon Simard se souviendra du référendum de 1997, point de départ de cette formidable réussite.

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Dix-sept ans plus tard, Manon Simard est toujours directrice du sport d’excellence à l’Université de Montréal. Elle est la patronne de toutes les équipes des Carabins et de leurs entraîneurs, comme Danny Maciocia au football. Les femmes occupant pareilles responsabilités ne sont pas nombreuses dans le sport canadien.

L’Université de Montréal habite Manon Simard depuis l’enfance. À l’âge de 10 ans, déjà nageuse prometteuse, elle a participé à un camp de perfectionnement sur le campus. Ce fut le coup de foudre : la montagne, les installations, l’ambiance…

Sa seule déception fut de ne pouvoir assister à un match des Expos, elle qui a reçu deux billets en raison de sa détermination à l’entraînement. Mais la route est longue vers Baie-Comeau et il fallait rentrer à la maison.

Dans sa tête, cependant, sa décision est prise. C’est ici qu’elle fera ses études universitaires. À l’âge de 15 ans, afin d’atteindre un nouveau plateau dans sa carrière sportive, Manon Simard déménage à Montréal. Membre de l’équipe nationale canadienne, elle participe aux Championnats du monde, aux Jeux panaméricains et aux Universiades. Ses performances lui permettent d’espérer une qualification aux Jeux olympiques.

En mai 1988, aux essais canadiens tenus à la piscine du Parc olympique, elle rate son billet pour Séoul par… cinq centièmes de seconde au 100 mètres dos ! Lorsque son chrono est confirmé au tableau, la foule comprend tout de suite la signification de ces poussières de seconde en trop. Encore aujourd’hui, Manon Simard entend le « Ahhh… » de déception qui a parcouru les gradins. « J’étais déçue pour mes parents… », dit-elle.

Manon Simard compte bien se reprendre quatre ans plus tard, à Barcelone. Elle s’entraîne à fond, souvent en compagnie de l’excellente Guylaine Cloutier, qui fera plus tard le voyage en Catalogne.

« Guylaine, c’est la seule que je n’arrivais pas à casser dans l’eau, rappelle Manon Simard. Elle n’abandonnait jamais, même quand les séances de répétition étaient épuisantes… Cette fille avait quelque chose de spécial. Elle a mérité ses succès. »

Malheureusement, une mauvaise réaction à un abcès dentaire sape l’énergie de Manon Simard. Son temps de récupération après les entraînements se prolonge au-delà d’un seuil acceptable pour une athlète d’élite. Elle comprend que son corps lui transmet un message.

Aussi, lorsqu’elle est admise à la maîtrise en 1992, elle met fin à sa carrière sportive. « C’est aux HEC que j’ai trouvé ma voie », explique-t-elle.

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À l’arrivée des années 2000, malgré des progrès manifestes, le programme d’excellence de l’Université de Montréal ne jouit pas d’une grande renommée dans le réseau sportif universitaire canadien.

Manon Simard se souvient d’une réunion avec des représentants d’autres établissements où des enjeux importants étaient à l’ordre du jour. Lorsqu’elle ose une suggestion, un intervenant la rabroue : « Les universités qui font du ping-pong auraient avantage à se taire… »

À l’époque, l’Université de Montréal n’a pas de programme de football. Mais subitement, les choses déboulent. Un budget apparaît comme par magie pour rénover le terrain synthétique du grand stade extérieur, menacé d’être transformé en stationnement. Dans la foulée, des équipes de soccer sont créées.

Le jour du premier match en septembre 2001, de hauts dirigeants de l’Université, dont le recteur Robert Lacroix et le DG du Centre sportif Paul Krivicky, approchent Manon Simard sur le côté du terrain : « Ça nous prendrait une équipe de football… »

— Vous êtes sérieux ?

— Oui, bien sûr…

Douze mois plus tard, les Carabins amorcent leur première saison avec Jacques Dussault comme entraîneur-chef. Les chandails des joueurs sont livrés au stade trois heures avant le premier match. Et le tableau indicateur s’allume enfin… deux minutes avant le botté d’envoi !

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En 2006, Marc Santerre succède à Jacques Dussault au poste d’entraîneur-chef. Cinq ans plus tard, après une réflexion approfondie, un comité choisit de ne pas renouveler son contrat, souhaitant réorienter le programme de football.

La décision provoque une tempête. Les joueurs des Carabins apprécient leur entraîneur et acceptent mal sa mise à l’écart. Les médias font largement écho à leurs doléances et les émotions montent en flèche.

Manon Simard reçoit l’essentiel du blâme. Ses genoux plient, mais elle ne tombe pas au tapis. Ses années d’entraînement en piscine l’aident à tenir le coup.

« J’ai reçu beaucoup de messages de soutien, dit-elle. L’un d’eux est venu de Félix Marois-Blanchet, un ancien joueur des Carabins. J’avais appris à le connaître durant ses études. Il m’a raconté combien sa mère avait vécu des épreuves dures. Il m’a expliqué comment elle avait gardé sa concentration malgré les critiques pas toujours justifiées. Je suis devenue très humble en lisant son courriel… Moi, ce n’était qu’un incident. Il m’a aidée à mettre les choses en perspective. »

La mère de Félix est Pauline Marois, l’ancienne première ministre du Québec.

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Aujourd’hui, l’Université de Montréal pourrait remporter un deuxième titre canadien en moins de deux ans. L’équipe de hockey féminin a réussi le coup en mars 2013 à sa quatrième année d’existence.

Mais peu importe le résultat du match d’aujourd’hui, Manon Simard et son équipe peuvent dire mission accomplie. Au plan sportif, l’Université de Montréal revient de loin.

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