Réseaux sociaux

Changer le monde, une publication à la fois

Outre le partage de vidéos de chats, d’images de pensées positives et de photos de latte dans un avocat, les réseaux sociaux servent aussi à la dénonciation des injustices. Le phénomène du militantisme 2.0 sous la loupe.

Un avion qui ne décolle pas

La vidéo d’une étudiante suédoise, Elin Ersson, est devenue virale plus tôt cette semaine. La jeune femme de 21 ans a refusé de s’asseoir dans un avion pour protester contre l’expulsion d’un réfugié vers l’Afghanistan, présent sur le même vol qu’elle. Elle s’est filmée et a diffusé ses actions en direct.

Malgré les vives critiques de certains passagers à bord, elle est restée debout jusqu’à ce que l’homme soit sorti de l’avion. Sa démarche a finalement porté ses fruits – du moins temporairement –, puisque le réfugié n’a pas été expulsé ce jour-là. La vidéo a été visionnée plus de quatre millions de fois à ce jour.

Un message diffusé plus rapidement

Les réseaux sociaux permettent aux messages de circuler beaucoup plus rapidement, explique la candidate au doctorat en science politique de l’Université de Montréal Elena Waldispuehl.

La spécialiste des réseaux sociaux établit un parallèle entre le cas de Rosa Parks et celui de la militante suédoise : « Les deux ont refusé de s’asseoir pour contester des normes et des lois. La seule différence, c’est que l’étudiante s’est filmée, car elle avait accès à la technologie qui a permis à son message de se propager beaucoup plus rapidement. »

Autre aspect : les réseaux sociaux permettent de plus en plus de politiser des événements qui surviennent dans la vie privée. « Si les réseaux sociaux n’existaient pas, on n’aurait jamais su ce qui se passait dans cet avion-là », souligne-t-elle à titre d’exemple.

Projet d’oléoduc retardé

La réserve autochtone de Standing Rock dans le Dakota du Nord, aux États-Unis, a remporté une victoire en 2016 attribuable en partie aux réseaux sociaux. Un projet d’oléoduc sur son territoire a en effet été interrompu à la suite d’une campagne menée sur Facebook. La nation sioux a manifesté durant plusieurs mois contre le projet qui, à ses yeux, menaçait de contaminer ses ressources en eau et de profaner ses terres sacrées. Des militants ont créé le mouvement #NoDAPL (No Dakota Access Pipeline) sur Twitter et Facebook.

Leur mouvement a attiré l’attention du monde entier après qu’environ 1,4 million d’utilisateurs de Facebook eurent signalé leur présence à Standing Rock durant les manifestations alors qu’ils n’y étaient pas vraiment. L’idée de cette publication devenue virale était de semer la confusion chez les policiers chargés du maintien de l’ordre sur le site de l’oléoduc. Les militants soupçonnaient alors la police de créer une liste de manifestants sur place contre l’oléoduc pour ensuite bloquer des manifestations. Toutefois, malgré l’interruption temporaire, la construction de l’oléoduc a repris l’année dernière.

Choix de plateforme

Le militant va choisir sa plateforme de diffusion sur le web en fonction de ses objectifs, précise Mme Waldispuehl. « Si le militant souhaite que son message soit partagé massivement et que ça devienne viral, il va utiliser les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook », explique-t-elle.

« Il y a cependant des plateformes moins connues au caractère tout aussi militant. Certaines d’entre elles restent souvent invisibles aux yeux du public, car elles veulent rester des safe spaces », précise la spécialiste des réseaux sociaux.

« Sur YouTube, il est possible d’avoir une chaîne privée qui partage des vidéos uniquement sur invitation. Il peut y avoir des groupes Facebook privés ou secrets, aussi », ajoute-t-elle.

Dénoncer les conditions de travail

Le cas de l’infirmière Émilie Ricard a fait couler beaucoup d’encre depuis que la jeune femme a publié une photo d’elle sur Facebook après son quart de travail de nuit où elle avait dû s’occuper seule de 70 à 76 patients. Sur la photo publiée en janvier dernier, on pouvait la voir en larmes, visiblement épuisée. « Je suis brisée par mon métier, j’ai honte de la pauvreté des soins que je prodigue dans la mesure du possible. Mon système de santé est malade et mou[rant] », a-t-elle écrit sous la photo.

Son message est rapidement devenu viral, alors qu’il a été partagé plus de 35 000 fois en 24 heures. La vague de solidarité s’est répandue comme une traînée de poudre aux quatre coins de la province. Trois mois plus tard, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a d’ailleurs annoncé des projets pilotes visant à faire diminuer les ratios patients-infirmières.

Les dangers de l’exposition en ligne

Les dénonciations en ligne peuvent avoir des retombées positives, mais elles ne sont pas sans risque pour celui qui dénonce.

« Dans le cas de l’étudiante suédoise, le fait qu’elle affiche son nom publiquement et qu’on puisse reconnaître son visage, ça peut devenir problématique », explique Mme Waldispuehl.

Il est rare qu’une cause fasse l’unanimité, précise-t-elle. « Ce sont les risques inhérents à l’exposition en ligne. Cela peut aller jusqu’à des menaces, des insultes et même du hacking. »

Des selfies contre le harcèlement

À Amsterdam, une étudiante a dénoncé sur Instagram le harcèlement dont elle était victime dans les rues de la capitale des Pays-Bas. Noa Jansma, 20 ans, a pris des photos des hommes qui l’interpellaient dans la rue pendant un mois, puis les a publiées sur un compte portant le nom de « Chers harceleurs ».

Dans les légendes des photos, la jeune femme racontait la façon dont ces hommes l’avaient harcelée : « Après m’avoir suivie pendant 10 minutes, il m’a dit : “Hé, t’es sexy, tu vas où ? Je peux venir avec toi ?” » L’étudiante a alors créé le mot-clic #dearcatcallers, qui est devenu viral. Même si la jeune femme a cessé de publier des photos depuis, 318 000 abonnés suivent toujours le compte Instagram.

De nouvelles perspectives

« Le fait que les actions directes ou collectives et la désobéissance civile peuvent être filmées en livestream ou prises en photos, ça amène une nouvelle perspective à l’engagement et au militantisme », explique Mme Waldispuehl.

Avec l’utilisation des plateformes en ligne, nul besoin de se joindre physiquement à des manifestations afin de faire partie d’un mouvement de protestation. On parle aujourd’hui de plus en plus d’actions collectives individualisées, explique la spécialiste. « Les gens peuvent mener des actions de manière individuelle – comme l’a fait l’étudiante suédoise à bord de l’avion – tout en se rattachant à un groupe militant pour une cause commune », conclut Mme Waldispuehl.

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