Éditorial

pensionnats autochtones
Innocent comme un pape

Alors que l’Église catholique célèbre cette fin de semaine la résurrection du Christ, les survivants des pensionnats autochtones ruminent un autre mystère impénétrable : la diplomatie du Vatican.

Le pape François refuse de s’excuser auprès des victimes des pensionnats. Il ne « peut pas ». Qui l’en empêche ? Est-ce Dieu lui-même ou ses avocats ? Il ne le précise pas.

Voilà l’étrange réponse relayée cette semaine par la Conférence des évêques catholiques du Canada. Dans une lettre aux « frères et sœurs autochtones », les évêques expliquent que le pape connaît la Commission vérité et réconciliation sur les pensionnats. Qu’il prend ce rapport dévastateur « au sérieux ». Et qu’il connaît aussi la recommandation 58, réclamant des excuses. De toute façon, il ne pourrait prétendre le contraire – le premier ministre Trudeau lui a personnellement relayé cette demande lors de sa visite à Rome en mai 2017.

Après 11 mois à réfléchir, le pape répond par un communiqué de presse diffusé par sa filiale canadienne. On y lit ceci : « après avoir examiné attentivement la demande et l’avoir discutée abondamment avec les évêques du Canada, il était d’avis qu’il ne peut pas y répondre personnellement ».

Traduisons : on vous a écoutés… et on ne fera rien. On a contribué à tuer votre langue et votre culture, mais on ne s’excusera pas.

Le pape enjoint simplement aux évêques locaux de « continuer de s’engager dans un travail intensif de pastorale visant la réconciliation ».

Que faut-il pour obtenir des excuses papales ? Un meurtre ?

Justement... Il y a eu une forme de mise à mort. Les pensionnats autochtones constituaient un « génocide culturel », a conclu la Commission vérité et réconciliation. La juge en chef de la Cour suprême a repris cette expression. Et sous Stephen Harper, le Canada s’est excusé. Mais la diplomatie vaticane continue de trébucher dans ses nuances oiseuses.

En 2009, le chef de l’Assemblée des Premières Nations s’était rendu à Rome avec d’autres leaders autochtones pour rencontrer le pape Benoît XVI. Le Saint-Père avait exprimé des « regrets », sans toutefois s’excuser. Et ses regrets étaient limités. Ils portaient sur « l’angoisse causée par la conduite déplorable de certains membres de l’Église ». Il regrettait donc les « gestes d’abus » individuels, mais pas le système lui-même des pensionnats.

La nuance est importante. Dans les récents litiges, les survivants des pensionnats peinent à être indemnisés correctement pour les méfaits du système des pensionnats. Un exemple parmi tant d’autres rapportés : Ruth Roulette, qui n’a eu droit qu’à une indemnisation de 3000 $. On l’a arrachée à ses parents, on a interdit sa langue (l’ojibwé), on a détruit son identité, et quelques décennies plus tard, elle reçoit en compensation juste assez d’argent pour quelques mois de loyer.

Comme l’a résumé Frederick Lee Barney, incapable lui aussi de faire reconnaître ce déracinement : « J’ai perdu mon identité d’autochtone. J’ai l’impression de ne plus savoir qui je suis ni comment je dois me comporter dans ce monde. […] Et oui, je suis fou de rage. »

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Le Vatican a une responsabilité dans cette destruction systématique de la culture autochtone.

Les pensionnats ont été créés par le gouvernement du Canada. On y envoyait les jeunes autochtones, loin de leur famille. Le but : « tuer l’Indien au cœur de l’enfant », afin de civiliser ce « sauvage ».

Ces enfants étaient confiés aux religieux. Dans la majorité des cas, il s’agissait de catholiques. Ils n’ont pas seulement exécuté ce travail de génocide culturel. Ils ont aussi fourni l’argumentaire.

Le discours sur les sauvages provient en partie de « bulles papales », des déclarations officielles. À partir du XVe siècle, le Vatican y élaborait la fameuse « doctrine de la découverte ». Elle soutenait que les Européens pouvaient s’approprier les terres autochtones, car elles n’appartenaient à personne. Elle leur enjoignait même de convertir et civiliser ces « sauvages », qui n’avaient pas été créés à l’image de Dieu.

Cette doctrine de la découverte a par la suite été relayée par d’autres églises chrétiennes – anglicane, unie, presbytérienne. Elle inspirait le Canada lors de sa création des pensionnats, à la fin du XIXe siècle.

Les trois églises protestantes se sont depuis excusées. Pas le Vatican. Il répudie aujourd’hui la doctrine de la découverte, mais refuse de s’excuser quant à la responsabilité historique de cette destruction organisée des 150 000 enfants des premiers peuples du Canada. Attend-il la mort des derniers survivants ?

Le pape a la foi, mais hélas, il n’a pas encore vu la lumière.

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