Analyse

De candidat-vedette à boulet

Québec — Tout l’épisode du « magasinage » de Gertrude Bourdon avec la Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) rend mal à l’aise tous ceux qui croient que les candidats-vedettes font le saut en politique pour les bonnes raisons.

Vendredi, les explications de l’ex-patronne du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) sur sa décision de devenir candidate libérale étaient déjà difficiles à croire. Après quatre entretiens avec le chef de cabinet de M. Legault, Martin Koskinen, et trois rencontres avec le chef lui-même, on est surpris de l’entendre dire qu’on l’avait « sollicitée », mais qu’elle n’avait jamais « magasiné » son parti, en fait qu’elle n’avait jamais donné l’impression à la CAQ qu’elle allait rejoindre François Legault.

Et les explications de Mme Bourdon ont carrément volé en éclats quand La Presse a révélé, samedi, le contenu d’un échange de textos entre la PDG du CHUQ et M. Koskinen. « J’ai parlé à M. Legault. Il n’y aura pas de “mou” samedi. Je crois sincèrement que nous avons l’occasion de marquer l’histoire », lui a écrit l’attaché politique. « Je le crois aussi », a répondu Mme Bourdon. Le lendemain, il la prévenait qu’elle devait s’attendre à ce qu’un journal publie un texte sur sa candidature à la CAQ. « Merci pour l’info ! », a-t-elle répliqué.

Devant ces faits, en point de presse samedi, Mme Bourdon avait perdu de sa superbe. Sans nier les faits cette fois, elle s’est réfugiée derrière le manque d’éthique des adversaires qui avaient diffusé le contenu d’un échange privé.

« La vérité a ses droits », a répliqué François Legault, et force est d’admettre que dans la publication de ces échanges, l’intérêt public domine. Mme Bourdon a lancé que « sa liberté individuelle était bafouée », que l’on avait atteint sa vie privée, elle n’a pas de cause. Bien des péquistes qui l’avaient côtoyée à Québec ont aussi été bien surpris de l’entendre dire qu’elle avait voté Non aux deux référendums. Plus récemment, les membres du Comité des citoyens du Vieux-Québec étaient convaincus d’avoir devant eux une souverainiste bon teint. A-t-elle pris des distances avec la vérité une autre fois ?

Éjectés

Diane Wilhelmy, sous-ministre responsable des négociations constitutionnelles, avait échoué à bloquer par injonction l’utilisation d’une conversation cellulaire où elle laissait tomber que Robert Bourassa « s’était écrasé » dans la négociation de Charlottetown. Elle s’était retrouvée sur la touche. En 2009, le colistier de Louise Harel, Benoît Labonté, avait dû mettre fin à sa campagne électorale quand ses relevés téléphoniques avaient montré qu’il s’était entretenu à six reprises avec l’entrepreneur Tony Accurso, ce qu’il avait vigoureusement nié jusqu’alors.

Mme Bourdon est une telle aubaine pour les libéraux, qui ont désespérément besoin de candidats-vedettes, qu’il est acquis qu’on ne lui demandera pas de passer la main. Son rôle dans la campagne à Québec pourrait cependant être moins évident, un sérieux inconvénient quand on sait que, selon des sondages internes, le libéral le plus populaire de la capitale est toujours… Sam Hamad, mis au ban du gouvernement Couillard.

Encore hier, les chefs en campagne s’échangeaient des balles au sujet de Mme Bourdon.

Candidat ou boulet

Des candidats qui deviennent des boulets dans les élections, c’est du déjà-vu. Pierre Karl Péladeau avait fait entrer le débat national dans la campagne avec son poing levé. Ce n’était pas dans le plan d’action de Pauline Marois. En 1994, le candidat péquiste Richard Le Hir faisait tellement de gaffes que Jacques Parizeau lui avait imposé Guy Chevrette comme tuteur. Il y a bien longtemps, le candidat libéral vedette William Cosgrove, ramené à la hâte de Washington, avait jeté un peu de discrédit sur la campagne de Robert Bourassa, en 1989, par sa méconnaissance des lois linguistiques. Les cas plus anecdotiques sont légion : un jeune caquiste s’était fait photographier nu sur une cuvette de toilette, de nombreux « poteaux » sont partis en vacances durant la campagne électorale. Des dégâts limités localement.

En campagne électorale, les organisations sont si obsédées par les controverses autour d’un candidat qu’il arrive qu’on les passe à la trappe plutôt que de les défendre. C’est ce qui est arrivé à Stéphane Le Bouyonnec, cloué au pilori comme étant à la tête d’une société d’informatique accusée de verser dans le prêt usuraire, le « shylock » qui égorge les démunis.

Or, tout le monde à la CAQ, y compris François Legault, convenait qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. L’entreprise, Techbanx, fonctionnait légalement, avec de nouvelles dispositions de la loi fédérale ; on y accordait des prêts de courte durée, à un taux plus élevé que le marché. Justement parce qu’on prêtait pour un maximum de deux mois, le taux était de 15 %, mais on ne pouvait multiplier ce taux par six pour un an. M. Le Bouyonnec avait investi 200 000 $ dans l’aventure ; Jacques Lamarre (ex-Lavalin), Jean-Luc Landry (Montrusco) et même Éric Péladau, frère de Pierre Karl, avaient aussi contribué financièrement à l’aventure. Quand l’affaire est sortie publiquement, l’équipe des communications de la CAQ a décidé que les explications seraient trop complexes, trop indigestes pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Depuis trois mois, M. Le Bouyonnec, un des fondateurs de l’Action démocratique du Québec (ADQ) et de la CAQ, joue sur le banc des pénalités, ne sort pas de sa circonscription de La Prairie. À telle enseigne qu’il s’interroge même sur son implication politique, semble-t-il.

D’autres passent sous le radar. C’est le cas de Danielle McCann, candidate présentée par la CAQ, sorte de bouée de secours après que Mme Bourdon a fait faux bond. Elle n’avait pas eu le choix de quitter la présidence de l’Agence de la santé de Montréal dans les derniers jours du mandat de Pauline Marois, ont confirmé des sources péquistes très proches de ces tractations. Sous sa gouverne, de 2012 à février 2014, l’agence ne répondait pas aux attentes du Ministère en matière de services aux patients, de fonctionnement des urgences, de soins aux aînés. Bien avant la fin de son mandat, on l’a remplacée par Patricia Gauthier. Mme McCann n’a toutefois pas été maltraitée – elle est partie avec une année de son salaire annuel, 209 000 $, ses vacances accumulées, 25 000 $, une indemnité de 46 000 $ en guise de compensation pour la résiliation de son contrat, et ce qui restait à lui verser d’une prime destinée à la convaincre de rester en poste… 91 000 $.

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