vente d’Électroménagers

Des multinationales se dressent contre l’imposition d’« écofrais »

Avec les déménagements qui approchent, un bras de fer se joue autour du projet d’imposer des frais de recyclage sur les ventes d’appareils électroménagers au Québec pour lutter contre les gaz à effet de serre. Plusieurs lobbyistes ont été mobilisés par de grandes multinationales et le débat est suivi jusqu’aux États-Unis, où les manufacturiers s’inquiètent des répercussions sur l’industrie si le gouvernement Legault va de l’avant.

« Dans le monde entier, personne n’a fait un tel programme ! Parce que ça n’a pas de sens. Nous peinons à comprendre », s’exclame Kevin Messner, vice-président principal de l’Association des fabricants d’appareils électroménagers (AFAE), regroupement mondial de 150 entreprises dont les géants LG, Whirpool, Samsung et Electrolux.

En entrevue téléphonique avec La Presse à partir de son bureau californien, M. Messner s’est montré très inquiet devant la perspective que le gouvernement du Québec impose des « écofrais » sur les ventes d’électroménagers au Québec.

L’AFAE a actuellement trois lobbyistes sous contrat pour faire des pressions auprès du gouvernement québécois contre cette idée. Brault & Martineau a aussi son propre lobbyiste au dossier, tout comme l’Association canadienne des boissons.

L’équivalent de rouler 17 000 km

En 2017, le gouvernement libéral avait publié un projet de règlement pour imposer des frais sur les achats d’appareils neufs. Le projet visait surtout à financer le recyclage des réfrigérateurs et congélateurs, qui contiennent des halocarbures (des gaz à effet de serre particulièrement nocifs) dans leur système de refroidissement et dans leurs mousses isolantes. Mais les frais se seraient aussi appliqués à d’autres appareils qui ne contiennent pas nécessairement de gaz.

Recyc-Québec estime qu’un vieux frigo peut contenir l’équivalent en gaz à effet de serre d’une voiture moyenne qui roule pendant 17 000 km. Actuellement, de vieux appareils sont ramassés par des ferrailleurs qui se soucient peu de gérer les gaz de façon écologique.

Même lorsque le système de refroidissement est vidé adéquatement par un professionnel, l’appareil finit souvent dans le broyeur d’un recycleur à métal qui ne capte pas les gaz contenus dans la mousse isolante.

Le projet de règlement libéral n’a jamais été adopté. Mais récemment, lorsque La Presse a révélé que la seule usine capable de broyer les frigos en captant 96 % des gaz était menacée de fermeture faute d’appuis, l’enjeu des écofrais est revenu sur la table. Car l’entreprise PureSphera avait créé cette usine à Bécancour en comptant sur l’adoption d’écofrais qui lui assureraient un approvisionnement continu en vieux appareils.

Le bureau du ministre de l'Environnement, Benoit Charette, avait alors déclaré qu’il travaillait à une solution.

Levée de boucliers

La présidente de Brault & Martineau et d’Ameublements Tanguay, Marie-Berthe Des Groseillers, a écrit directement au premier ministre le mois dernier pour le prévenir que le prix des appareils risquait d’augmenter de 120 $ à 140 $ si on imposait des écofrais au consommateur, ce qui favoriserait l’achat hors Québec, selon elle.

Même à l’extérieur du Québec, les entreprises sont inquiètes. À Washington et à Los Angeles, dans les bureaux de l’AFAE, les représentants des manufacturiers craignent que le Québec n’impose un système de recyclage « lourd, fortement contraignant et éminemment coûteux ».

« Ça va coûter beaucoup aux entreprises et aux consommateurs », dit Kevin Messner, selon qui le système actuel, qui voit la majorité des appareils finir chez des recycleurs de métaux, fonctionne plutôt bien.

M. Messner souligne que la mousse isolante ne relâche qu’une partie de ses gaz lorsqu’un appareil est broyé par les recycleurs de métaux. Quant aux ferrailleurs qui vident le système réfrigérant dans l’air avant d’apporter un frigo chez le recycleur, il croit que c’est aux inspecteurs gouvernementaux de s’en occuper.

« C’est déjà illégal au Canada et aux États-Unis de relâcher des halocarbures dans l’atmosphère. Les gens qui le font le font illégalement. Nous, on ne peut pas jouer à la police. C’est un enjeu d’application de la loi. »

— Kevin Messner, vice-président principal de l’Association des fabricants d’appareils électroménagers

L’AFAE souligne aussi que l’industrie est en train d’implanter des solutions de rechange qui vont remplacer d’ici quelques années les halocarbures, et que le problème disparaîtra donc sans qu’il soit nécessaire d’imposer un système complexe de recyclage.

Actions réclamées

Sauf qu’en attendant, des centaines de milliers de vieux appareils au Québec sont bourrés de gaz. Et plusieurs pressent le gouvernement d’agir pour assurer qu’ils sont traités de façon écologique.

Le regroupement Switch, qui se définit comme « l’Alliance pour une économie verte au Québec » et qui regroupe tant le Conseil du patronat que la Fondation David Suzuki, Desjardins, l’Association de l’aluminium du Canada et Équiterre, a pris position en faveur d’écofrais.

« Ces frais vont permettre au Québec d’émettre moins de gaz à effet de serre. Les gaz réfrigérants sont très nocifs pour l’environnement. Et nous avons une technologie innovante, à Bécancour, capable de les capter. »

— Denis Leclerc, un des administrateurs de Switch

Sans s’être mêlé directement du dossier, le metteur en scène Dominic Champagne a récemment donné un coup de pouce indirect aux partisans d’écofrais en offrant aux ministres Benoit Charette et Pierre Fitzgibbon le livre Drawdown, un ouvrage à succès dans lequel 200 experts ont répertorié les 100 actions qui auraient le plus gros impact pour contrer les bouleversements climatiques.

Dans le livre, l’amélioration de la captation des gaz réfrigérants est la solution numéro un, celle qui aurait l’impact le plus important, loin devant l’adoption de la voiture électrique (numéro 26) et la construction de toits verts (numéro 73).

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.