Image corporelle

Porter le poids de son image

« Ma fille se trouve laide et grosse », se désole une maman sur Facebook. L’enfant en question n’a pas encore 9 ans. Cassandre*, la mère qui signe le billet, lui a fait valoir qu’elle n’est ni laide ni grosse, mais ses bons mots ne pèsent pas bien lourd dans la tête de sa fillette qui désire trouver sa place dans la cour d’école.

Cassandre n’a pas grimpé dans les rideaux la première fois que sa fille lui a fait part de sa souffrance par rapport à son apparence. « Je ne voulais pas faire la mère freak et dire que mon enfant était fuckée, dit-elle. Mais après plusieurs fois, j’ai commencé à la questionner. »

« Ça vaut la peine de prendre le temps d’en parler. Ce n’est pas un hasard si un enfant répète une chose plusieurs fois. C’est probablement qu’il a envie d’en parler », estime Annie Aimé, professeure de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste des problèmes liés au poids.

La fille de Cassandre n’est pas seule. Il y a aussi celle de Claudia, qui fait de l’embonpoint, et celle de Marie, qui a un ventre rondouillet. Se trouver trop grosse à 9 ans est malheureusement très courant : 47 % des fillettes de cet âge souhaitent en effet être plus minces, selon une recherche réalisée au Québec entre 2010 et 2013.

« En avril 2014, on a publié un rapport de recherche dans lequel un peu plus de 40 % des enfants de 8 à 12 ans interrogés disaient vouloir être plus minces, expose Annie Aimé. Si on avait regardé toutes les insatisfactions par rapport au poids, on serait peut-être arrivé à 50 %. » Ces chiffres correspondent aux constats aussi faits aux États-Unis et en Australie, précise la psychologue.

Les filles sont les principales affectées par le culte de la minceur, mais les garçons aussi sont touchés : à 9 ans, 33 % d’entre eux aimeraient être plus minces. « On a été surpris de voir que nos garçons aussi voulaient être plus minces », admet Annie Aimé. En fait, chez les garçons, deux tendances coexistent : vouloir mincir et prendre du muscle.

UN FACTEUR D’INTIMIDATION

« Ce qui me sidère, c’est que ma fille est tout à fait normale », lance Cassandre. Elle croit que cette idée lui vient de l’école. Marie et Claudia n’en doutent pas, elles. « Il y a des commentaires des amis à l’école », confirme Marie. « Ma fille commence à se faire écœurer à l’école », dit aussi Claudia.

Le poids est le trait physique le plus susceptible de devenir une source d’intimidation, rapporte Annie Aimé.

« On a tendance à percevoir le poids comme une chose qu’on peut contrôler. Si une personne est grosse, ce n’est pas “pauvre toi”, mais plutôt : “qu’est-ce que tu fais pour être grosse de même ?”»

— Annie Aimé, professeure de psychologie à l’Université du Québec

« L’impression que j’ai, dit Cassandre, c’est qu’on vit dans une société de la performance comme travailleur, comme homme, comme femme, comme parent, comme amoureux. Il y a tellement de messages qui nous disent qu’on doit être parfait. Il n’est pas facile de se développer une pensée autonome. »

Les enfants les plus conformistes et ceux qui ont une faible estime d’eux-mêmes sont plus susceptibles d’être insatisfaits de leur apparence. Par ailleurs, ils sont perméables aux conversations entre adultes au sujet du poids, des régimes et de la nécessité d’améliorer sa silhouette. Ils sont aussi exposés aux publicités d’aliments minceur et d’appareils d’exercice. « Ça fait longtemps que ma fille veut qu’on achète un vélo stationnaire », glisse d’ailleurs Marie.

JOUETS, PUB ET JEUX VIDÉO

« Les jeunes sont de plus en plus exposés aux médias et le sont de plus en plus tôt. Même avant 2 ans, les enfants peuvent commencer à interagir avec une tablette électronique, par exemple », fait valoir Thierry Plante, spécialiste en éducation aux médias chez Habilo Médias, organisme basé à Ottawa.

En plus de l’inévitable publicité, il évoque l’internet et les jeux vidéo. YouTube est en effet le site le plus populaire chez les jeunes Canadiens de quatrième année et plus, selon lui. Certains des jeux les plus populaires chez les jeunes Canadiennes sont aussi, en résumé, des jeux de magasinage et de maquillage de modèles stéréotypés « soit légèrement ou très sexualisés ».

Les jouets colportent aussi des messages. L’icône du genre, pour les filles, c’est bien sûr la Barbie et sa taille d’une finesse démesurée. Une étude américaine qui date de 1999 signale également que les figurines du genre G.I. Joe et Star Wars avaient considérablement pris du muscle depuis les années 70. « L’impact sur l’image corporelle et l’estime de soi des garçons va se faire sentir plus vers l’adolescence », précise Thierry Plante.

QUE FAIRE ?

L’insatisfaction quant à l’image corporelle est une situation complexe. Le fait de jouer avec une Barbie ne rend pas anorexique, évidemment. L’exposition prolongée aux stéréotypes dominants peut par contre avoir un effet à long terme si la personne – enfant ou adulte – ne développe pas son sens critique.

C’est pourquoi Thierry Plante suggère de s’intéresser aux émissions et aux jeux qui captivent nos enfants, sans porter de jugement, mais en les remettant en contexte. « Ça commence avec l’image corporelle, mais plus tard, à l’adolescence, ça touchera la sexualité, sa représentation et les comportements », dit-il.

« On peut aussi planifier l’utilisation des médias, plutôt que leur accès soit toujours une possibilité en arrière-plan », ajoute-t-il.

« Envisager le temps d’utilisation d’un média comme un choix a une influence sur leur utilisation : les enfants sont plus conscients des choix qu’ils font dans un tel contexte. »

— Thierry Plante, spécialiste en éducation aux médias chez Habilo Médias

Parler sans juger et accompagner les enfants constituent aussi des pistes de solution, selon Annie Aimé. Il faut essayer de naviguer entre l’éducation à l’alimentation, la nécessité de bouger et le développement du regard critique à l’égard des modèles dominants. « On évite les extrêmes : il ne faut pas partir en peur, prévient-elle, mais on ne fait pas semblant que ce n’est pas là non plus. »

* Certains noms des mères qui témoignent ont été changés

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