Chronique

La crédibilité des dragons sent le roussi

Examinez bien cette photo de la sixième saison de Dans l’œil du dragon. Elle a été prise il y a deux ans. Depuis, trois des cinq vedettes de la téléréalité de Radio-Canada ont été dégommées, dont Caroline Néron et son entreprise de bijoux, qui l’a conduite aux frontières de la faillite.

Ça sent le roussi pas à peu près dans le processus de sélection des investisseurs de cette populaire émission, dont les cotes d’écoute ont atteint une moyenne de 730 000 téléspectateurs l’an dernier.

Pendant deux saisons, Caroline Néron a cimenté son statut d’entrepreneure chevronnée et a astiqué sa crédibilité économique en s’assoyant dans l’un des cinq fauteuils capitonnés des dragons. Pendant deux saisons, elle a conseillé des inventeurs, donné des trucs de marketing et partagé la recette de son succès commercial (hum-hum) avec le public.

Caroline Néron a joué les mentors en sachant très bien que son « empire » croulait sous les dettes. C’est ça, le plus choquant et le plus malhonnête, je trouve. Comment la « femme d’affaires » a-t-elle pu prétendre trôner au sommet devant les caméras alors qu’un gouffre financier menaçait de l’avaler ? Oui, Caroline Néron a déjà été actrice, mais elle n’était pas si bonne que ça, quand même.

Pourquoi personne à Radio-Canada ou chez le producteur Attraction Images n’a agité de drapeau rouge pour stopper cette mascarade ? De toute évidence, les mailles du filet devront être resserrées pour que Dans l’œil du dragon ne perde pas la crédibilité qui lui reste. Ça presse.

« Au moment de l’enregistrement de Dans l’œil du dragon, en février dernier, tout ça n’était pas su. Nous n’avions aucun indice qui nous inquiétait concernant les finances de Caroline Néron. On est quand même surpris. »

— Sophie Morasse, directrice culture, variétés et société de Radio-Canada

Le problème, c’est qu’aucune preuve de la richesse des dragons n’est exigée au moment de les mettre sous contrat. Rien du tout. « On ne m’a jamais demandé de montrer mes chiffres », confirme François Lambert, qui a participé à l’émission de 2012 à 2014.

La production impose cependant aux dragons de disposer de 200 000 $ pendant la période des enregistrements. Encore ici, pas besoin de fournir le solde de son compte de banque. « On se fie à leur bonne foi et on leur fait signer un contrat », explique le producteur de Dans l’œil du dragon, Benoit Léger.

Selon Radio-Canada, exiger des états financiers détaillés ferait fuir plusieurs candidats potentiels au poste de dragon, qui n’ont pas nécessairement le goût d’ouvrir publiquement leurs livres. Pourtant, cette transparence éviterait assurément un fiasco télévisuel comme celui provoqué par Caroline Néron.

J’espère que Guy A. Lepage posera les vraies questions à Mme Néron, qui a choisi le plateau de Tout le monde en parle pour s’expliquer sur ses déboires. Vous verrez cette entrevue dimanche soir.

Sur les ondes de la CBC, Dragon’s Den fonctionne sensiblement comme Dans l’œil du dragon, mais la somme requise pour les investisseurs s’élève à 250 000 $. « C’est une émission de télé, c’est un show. On ne prend pas ça trop au sérieux. Ça me surprendrait beaucoup que la famille Bombardier ou les Desmarais viennent me voir aux Dragons pour que je leur prête de l’argent », remarque le propriétaire de salles de cinéma Vincent Guzzo, qui a participé à la dernière mouture de Dragon’s Den et qui sera de retour pour la prochaine.

Selon Vincent Guzzo, le plus riche des dragons du Canada anglais vaut autour de 800 millions et le moins nanti, 30 millions.

Au total, Vincent Guzzo a noué 14 ententes pendant l’émission. Jusqu’à présent, aucune n’a abouti à un vrai partenariat.

François Lambert, lui, affirme avoir sorti entre 150 000 $ et 175 000 $ de sa poche pendant ses trois saisons à Dans l’œil du dragon. On s’entend ici, ce n’est pas énormément d’argent par rapport à ce que laissent entrevoir les épisodes où les offres juteuses se concluent toutes les 10 minutes.

La nouvelle cuvée de Dans l’œil du dragon amorcera ses tournages dans un mois. Dominique Brown (Chocolats Favoris), Nicolas Duvernois (Pur Vodka, Romeo’s Gin), Isabèle Chevrier (Bio-K+) et Marie-Josée Richer (Prana) formeront alors le quatuor de mentors. Radio-Canada et le producteur Attraction Images jurent que des doubles et même des triples vérifications ont été effectuées sur eux.

Il n’y a plus de place à l’erreur. Si jamais un nouveau dragon est pincé à commercialiser un logiciel de publicités intempestives (Martin-Luc Archambault) ou à ne pas payer taxes, employés et loyers (Caroline Néron), ce sera la fin et l’émission ne renaîtra jamais de ses cendres.

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