ENJEUX

Blague à part

Rire de la différence des autres est peut-être drôle pour certains, mais jamais pour ceux qui sont visés.

Avec l’affaire Ward c. Gabriel, on entend plein de drôleries sur l’humour et la différence. Octobre étant le mois dédié au nanisme depuis trois ans au Québec, j’ai eu l’idée, moi aussi, de vous raconter de bonnes blagues :

Il y a les aléas de la vie, mais tu fais ton chemin. Tu es cool. Tu fais ton possible pour que l’on te prenne au sérieux, malgré ton 1 m 22 (4 pieds). Pis là, tu entends ton humoriste préféré dire : « Esprit que j’aime ça, les nains ! C’est tout petit, ça a des p’tites jambes et ça court vite... C’est le fun, un nain, y a personne qui a de la haine envers les nains… »

Ça complique pas mal tes plans.

Tu marches dans la rue en pensant à ton auto qui est chez le garagiste. Scrappée, l’auto ! Au moment où tu es hors de toi, un individu qui te trouve « donc ben mignonne, la petite » te prend dans ses bras et te soulève de terre pour manifester son « débordement d’affection ». Ouais, c’est pas ça qui réparera ton démarreur.

Une vieille dame te court après à la sortie d’un dépanneur, son billet de loterie à la main. « Toucher la tête d’un nain, ça va me porter chance. » Ah bon.

Un groupe t’aperçoit dans un centre commercial. Les gens te dévisagent, te fixent, te pointent du doigt. L’un d’eux se place derrière toi pour un beau selfie en duo. Cool, te voilà rendue au Zoo de Granby sans avoir à payer le billet d’entrée !

Tu fais affaire avec une gentille caissière à la pharmacie. Elle s’adresse à toi comme si tu étais un enfant de quatre ans. Ça te permet d’oublier un instant que tu en as 52 et que tu es chef d’entreprise.

Un employeur te dit d’un air confiant au téléphone que tout est parfait lorsque tu postules pour un emploi. À la minute où il te voit en entrevue, ça ne fonctionne plus, le poste est comblé. Pas grave, tu ne voulais pas de ce job, anyway.

Tu marches paisiblement dans ton quartier, un soir. Ça sent bon le printemps, les tulipes vont sortir… Tu passes devant un bar où des dudes fument leurs clopes. Ils sont pliés de rire : « Check la ti-naine, elle pourrait me faire ça deboutte… » Amis de la poésie, bonsoir.

Une gang de joyeux gaillards t’enferment dans ton casier à la poly pendant l’heure du lunch, parce que c’est juste trop drôle que tu sois assez petit pour rentrer dedans. Tu rêves à ton sandwich aux œufs ou à une pointe de pizza.

Le meilleur ami de ta blonde vient te voir en privé pour te dire que tu es un gars ben smart, mais que ça n’a pas d’allure que son amie sorte avec un nain. Ça fait trop jaser, tu devrais la laisser pour les « grands ».

Et puis ta fille (qui n’est pas de petite taille) ne veut pas aller à l’école un beau matin. Le petit tannant de la classe n’arrête pas de lui répéter que son papa à elle est un « ti-nain de Blanche-Neige ». Et il se trouve ben drôle, le flo.

Imaginez ça sur une journée entière, une semaine, un mois, une année, une vie.

Moi, ça fait 40 ans.

J’ai le sens de l’humour. Je suis pour la liberté d’expression. Je ne veux pas nécessairement sortir les pancartes. Mais ça fait 40 ans que j’essaie d’en rire.

*Maladie osseuse rare, causant le nanisme

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