OPINION PARTENARIAT TRANSPACIFIQUE

Une question de vie

L’accord de Partenariat transpacifique ne doit pas lever de nouvelles barrières à l’accès aux médicaments abordables

En 2004, je me suis rendue en République démocratique du Congo (RDC) avec Médecins Sans Frontières pour prendre part à un nouveau programme passionnant.

Les traitements antirétroviraux abordables venaient juste d’être rendus disponibles grâce au travail acharné d’un groupe de patients et de militants dans la lutte contre le VIH, qui avait aidé à négocier l’accès aux médicaments génériques pour les pays à faible revenu.

Devant mes yeux, je voyais mes patients se transformer : auparavant confrontés à une mort certaine, ils retrouvaient une chance de vivre, de prendre soin de leur famille, de prospérer. Aujourd’hui, il y a plus de 12 millions de personnes dans les pays en développement qui reçoivent un traitement contre le VIH, et la plupart d’entre elles dépendent des versions génériques abordables des médicaments pour vivre.

Apparemment, le droit de fabriquer et de distribuer des médicaments antirétroviraux génériques était une victoire isolée.

L’industrie pharmaceutique a travaillé fort pour faire en sorte que les versions génériques des autres médicaments salvateurs demeurent indisponibles, assujetties aux restrictions complètes de protection internationale par brevet et, donc, beaucoup moins abordables.

La liste des médicaments inaccessibles résultant de ces restrictions comprend notamment les plus récents antirétroviraux, vaccins et traitements contre la tuberculose et l’hépatite C.

Le gouvernement canadien participe présentement aux négociations avec les États-Unis et 10 autres pays en vue de finaliser l’accord de Partenariat transpacifique (PTP), un imposant accord commercial dont les répercussions pourraient être graves. La fuite de certains documents a permis de savoir que l’accord vise à accroître considérablement la portée et la durée des brevets et autres protections monopolistiques pour les médicaments. Les changements proposés vont bien au-delà des exigences minimales fixées par l’Organisation mondiale du commerce et relèvent la barre en matière de droits de propriété intellectuelle.

Les protections de propriété intellectuelle des détenteurs de brevets ont-elles préséance sur les besoins en santé publique des communautés ? En tant que médecin, je me tiens fermement du côté du patient. Les gouvernements canadien et américain ont montré qu’ils sont prêts à outrepasser les droits des détenteurs de brevets lorsqu’ils sont confrontés à de graves menaces de santé publique – on n’a qu’à se rappeler le vent de panique causé par l’anthrax en 2002 ou encore la pandémie de grippe porcine en 2009-2010.

Dans les pays en développement où Médecins Sans Frontières accomplit la plus grande partie de son travail, les besoins en santé publique sont souvent énormes. Même dans certains des pays qui participent aux négociations du PTP, comme le Pérou et le Viêtnam, les patients n’ont pas les moyens de se procurer les médicaments dont ils ont besoin. Dans le cadre du PTP, non seulement les brevets pharmaceutiques seront élargis et prolongés, mais encore les différends en matière de commerce international seront portés devant des tribunaux indépendants n’offrant ni transparence ni mécanismes d’appel.

Les Canadiens ne seront pas non plus à l’abri des dispositions étendues des brevets et d’une augmentation du coût des médicaments. Les sociétés pharmaceutiques n’hésiteront pas à protéger leurs intérêts commerciaux – citons à preuve le procès de 500 millions intenté par Eli Lilly contre le gouvernement canadien (et les contribuables) pour le rejet de deux brevets de médicaments et pour avoir permis aux compétiteurs d’entrer dans le marché.

Le sujet de l’accès aux médicaments ne peut pas être abordé sur une base purement économique. Les nouveaux accords commerciaux qui visent à étendre les droits de brevet et à promouvoir les abus du système de brevets ont ultimement d’importantes conséquences sur la santé publique. Il y a une vie qui est rattachée à chacun des calculs de l’offre et de la demande en médicaments : pour chaque vaccin qui n’est pas donné et pour tous les antirétroviraux qui sont trop chers, il y a un être humain qui paie de sa vie. Nombreux sont les pauvres dans le monde qui n’ont actuellement pas accès à des médicaments pour rester en vie ; nous ne pouvons pas rehausser les barrières davantage.

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