Les lignes horizontales

Comment choisir ses livres

Les choses de la vie

Paul Guimard 

Gallimard, 167 pages

La science de choisir ses livres en est une d’aucune précision. Je crois que le hasard influence grandement notre parcours littéraire et que la recommandation « faut absolument que tu lises ça » d’un ami se retrouve entre nos mains aussi souvent qu’un ajout de dernière minute à la caisse de la librairie, parce que l’auteur avait l’air fiable et le livre, confortable. (Je trouve parfois que certains livres ont l’air confortables et souhaiterais qu’ils soient format lit pour pouvoir m’y laisser choir… mais je suis un garçon un peu bizarre et très fatigué… passons.)

Les choses de la vie de Paul Guimard est un roman de 1967 qui faisait partie de ma liste de « je sais que je dois le lire ». Une recommandation provenant peut-être de mon beau-frère, qui peut parler de Sophocle pendant deux heures et ensuite construire un canot avec ses mains, puis réparer ma souffleuse tout en apprivoisant une marmotte. 

J’ai tendance à l’écouter. Et il se trouve que ma jeune sœur, sur sa liste de cadeaux de Noël, avait inclus justement Les choses de la vie. Vous trouverez peut-être qu’imposer une liste de cadeaux à sa famille trahit un peu la magie des Fêtes, mais après le chandelier de plastique en forme d’ananas que j’offris à ma cadette, en 2002, cela devint nécessaire.

Me suis donc procuré Les choses de la vie ainsi que trois autres romans, dans le but de les offrir à ma sœur pour Noël. Lors de la séance d’emballage, je fus pris de curiosité et d’écœurement. Curiosité pour les livres offerts, écœurement de les emballer. J’ai donc pris une pause pour examiner le roman de Paul Guimard. Le livre est tout petit, l’illustration en couverture est douce, le tout est presque appétissant. (Des livres confortables, appétissants, j’espère que vous vous y retrouvez.) J’étais curieux et je me suis installé à la première phrase, juste pour voir…

« C’est Bob qui m’avait appris à capturer les animaux à fourrure. »

J’ai un pied dans le livre. J’y vais d’une ellipse à la page 24 et atterris sur : 

« Aurélia avait appris de moi les singularités du robinet des garçons et nos baignades clandestines dans l’étang de La Barre m’avaient informé des apparences visibles du mystère féminin. »

J’ai deux pieds dans le livre. Puis, à la page suivante : 

« Je sais qu’il en va des souvenirs comme des lumières, ils scintillent d’autant mieux qu’ils sont éloignés. À distance convenable, on ne distingue pas une étoile d’une lampe électrique. »

Officiel, ma sœur ne recevra pas le livre à Noël. Je l’extrais du lot et le garde pour moi, tout simplement, en me demandant si je suis en train de commettre un acte qui me qualifie de fainéant ou de juste un peu moron.

Pierre Delhomeau, avocat, quitte Paris et roule en direction de Rennes à bord de sa MG. Dans un virage, l’erreur de jugement du conducteur d’une bétaillère provoque l’accident dont le déroulement constitue la presque totalité de l’histoire.

Tout se déroule dans une fenêtre de dix secondes. Presque tout. Au moment de l’accident, deux narrateurs prennent la parole à relais. Une voix extérieure et le conducteur, décrivant calmement sa propre fatalité de l’intérieur du véhicule. Les deux narrateurs ont la voix de James Hyndman. Dans ma tête, en lisant, c’est James Hyndman que j’entendais. J’ai l’impression que même en plein dérapage, tonneaux et éclats de verre, James Hyndman doit conserver un certain flegme.

Parce qu’en effet, l’élégance ne semble jamais quitter l’accidenté qui, une fois éjecté de la voiture et gisant sur le gazon, analyse sa situation dans le calme, flottant entre la vie et la mort. Hésitant à ouvrir les yeux : je me doute bien que rien d’agréable ne m’attend de l’autre côté de ce mur de langueur qui me protège.

Tâtant même de l’ironie : « Il m’importe peu d’être défiguré, je n’aime pas ma tête… il me restera une cicatrice convenable, séduisante même avec un peu de chance. »

Pour moi, ce fut un succès. Et j’ai découvert une nouvelle façon de choisir mes lectures : les piquer sur les listes de cadeaux. Si ceux que vous aimez aiment un livre, vous l’aimerez peut-être aussi. Et aux aimés, achetez un ananas-chandelier.

Mais dites que vous l’avez acheté au Salon des métiers d’art. Ça passe toujours un peu mieux.

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