Controverse autour du spectacle SLĀV

Les leçons à tirer du Musée des beaux-arts de Montréal

Près de deux semaines après la décision du Festival international de jazz d’annuler le spectacle SLĀV, la controverse ne meurt pas. Au même moment, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) présente deux expositions qui mettent de l’avant des artistes africains et afro-descendants d’un côté, et Picasso de l’autre. Entrevue avec la directrice du MBAM, Nathalie Bondil, qui nous explique son processus créatif, sa vision de ses expositions et, surtout, pourquoi elle ne s’est pas fait accuser d’appropriation culturelle.

Le MBAM présente depuis le 12 mai les expositions D’Afrique aux Amériques : Picasso face à face, d’hier à aujourd’hui et Nous sommes ici, d’ici : L’art contemporain des Noirs canadiens. Ces deux expositions, qui seront à l’affiche jusqu’au 16 septembre, mettent de l’avant des œuvres d’Africains et d’afro-descendants. Or, contrairement au Théâtre du Nouveau Monde et au Festival international de jazz de Montréal, le MBAM ne s’est attiré aucune critique autour des enjeux de racisme, d’appropriation culturelle et de privilège blanc.

Quelle est la différence entre le projet du MBAM et celui de SLĀV ? « Il y a beaucoup de confusion à l’heure actuelle parce que, malheureusement, quand on a ce type de polémique, ça se fait souvent sur de bonnes intentions », répond Mme Bondil. 

« Souvent, on veut rendre hommage, et les gens se sentent accusés alors qu’ils étaient pleins de bonne volonté. Et ça, c’est compliqué à accepter parce que c’est difficile de se remettre en cause dans cette situation. »

— Nathalie Bondil, directrice du MBAM

La directrice du MBAM a voulu rendre hommage aux artistes africains et afro-descendants quand elle a attiré à Montréal ces deux expositions. L’exposition de Picasso, importée de Paris, a été abordée d’une manière complètement différente à Montréal. Ici, on a greffé à l’exposition de Paris, montée à partir des collections du musée du quai Branly et du musée Picasso, des œuvres d’artistes noirs contemporains inspirées du courant des revendications identitaires.

Mme Bondil met l’accent sur l’importance des multiples regards sur une même histoire. Pour elle, le point de vue des artistes africains contemporains sur Picasso était aussi important à présenter que celui de Picasso sur l’art africain. D’où l’idée de face à face, comme l’indique le titre de l’exposition.

Privilégier le dialogue

Même si Nathalie Bondil est en vacances à l’extérieur du pays – donc loin de la scène artistique québécoise –, elle a suivi à distance toute la polémique entourant SLĀV et le sujet de l’appropriation culturelle. « On se positionne rapidement aujourd’hui, mais on ne débat pas », déplore-t-elle.

Une revendication n’est jamais dénuée de fondement, estime Mme Bondil, qui croit qu’il y a toujours une cause à un mouvement de colère. Lorsque des accusations d’appropriation culturelle sont portées, il faut s’asseoir et discuter, croit-elle. On peut avoir tendance à se refermer, mais c’est un piège à éviter, selon celle qui privilégie le dialogue. 

« On peut ne pas être d’accord, mais ne pas être d’accord ne veut pas dire ne pas discuter. »

— Nathalie Bondil, directrice du MBAM

Pour monter les deux expositions au MBAM, Nathalie Bondil a fait appel à Dominique Fontaine, commissaire indépendante d’origine haïtienne qui a rempli le rôle de consultante pour l’exposition de Picasso en plus d’être l’une des trois commissaires de l’exposition Nous sommes ici, d’ici : L’art contemporain des Noirs canadiens.

Il était aussi important pour le MBAM d’exposer plusieurs artistes noirs qui se sont établis à Montréal, comme Eddy Firmin, dit Ano. « Ça permettait de dire que ce ne sont pas juste des discussions qui ont lieu loin de nous, donc sur d’autres scènes, mais qui existent à deux coins de rue », illustre la directrice.

Lorsqu’on demande à Mme Bondil comment parvenir à éviter d’être plongé dans une controverse « d’appropriation culturelle » comme celle qui a entouré la pièce SLĀV, elle répond sans hésiter. « Écouter et actualiser sa sensibilité avec empathie et bienveillance. La culture est une matière vivante qui évolue de génération en génération. Ce n’est pas parce qu’on a une approche réussie qu’à un certain moment, elle ne doit pas être repensée. »

Trois visions sur l’approche du mbam

Eddy Firmin, dit Ano

Eddy Firmin est l’un des artistes qui exposent dans Nous sommes ici, d’ici. Originaire de la Guadeloupe, M. Firmin s’inspire des codes de résistance retrouvés dans le gwoka, tradition artistique de son pays d’origine. L’artiste, qui a vécu en France, affirme que le débat sur l’appropriation culturelle aurait été impossible dans l’Hexagone car, selon lui, les tensions raciales y sont trop vives. « Quand je suis arrivé ici, c’était comme une colonie de vacances pour moi, et j’ai toujours tendance à vouloir remettre ça en perspective. » Selon lui, ce débat est positif. « On touche à l’essentiel, à quelque chose de très sensible. »

Dominique Fontaine

« Ces deux expositions témoignent de la volonté du MBAM d’ouvrir grand ses portes et de présenter leur histoire, leur culture, leur expérience et leur point de vue », vante Dominique Fontaine, qui est l’une des trois commissaires de l’exposition Nous sommes ici, d’ici et qui a aussi joué le rôle de consultante pour l’exposition sur Picasso. Mme Fontaine tient à souligner l’importance d’expositions comme celles-ci, tout particulièrement Nous sommes ici, d’ici, qui a d’abord été montée au Musée royal de l’Ontario. Qu’autant d’artistes africains et afro-descendants soient réunis dans un même espace, c’est une première au Québec, note-t-elle, enthousiaste. « C’est révolutionnaire. »

The Woman Power

Parmi les différents points de vue critiques contemporains sur les œuvres de Picasso, on retrouve celui de l’organisme montréalais The Woman Power, qui se bat pour la représentation positive de la femme dans les milieux créatifs et qui a créé une réponse aux Demoiselles d’Avignon. Les membres de l’organisme n’ont que du positif à dire sur leur travail avec le musée. « On a pris nos idées en considération et c’est l’une des plus belles collaborations que The Woman Power a eues jusqu’à présent », dit Johanna Chevalier, cofondatrice de la plateforme. Elles tenteront de continuer cette conversation sur la représentation des femmes dans l’art à l’occasion de deux discussions animées au MBAM, le 18 juillet et le 15 août prochains.

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