À ma manière

La transaction la plus compliquée de mon banquier

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte dans ses mots une page de son histoire.

Qui : Charles Boulanger, président de LeddarTech. L’entreprise de Québec a conçu une technologie lidar brevetée. Destiné à la voiture autonome, le lidar peut détecter les objets, les humains et les animaux à plus de 200 mètres.

Réussir à obtenir 130 millions de dollars, pour une société qui est encore considérée comme une start-up, c’est assez unique au Canada.

Ce n’était pas mon premier financement, et j’ai toujours cru qu’il fallait prendre contact avec les futurs investisseurs alors qu’on n’a pas besoin d’argent. Il faut les préparer. C’est ce que j’ai fait en présentant LeddarTech à travers le monde, en expliquant notre technologie et mon plan d’affaires.

Il y a deux bénéfices à ça. Le premier : je mesure l’appétit pour le secteur d’activité et je crée de l’intérêt. Ça me donne aussi des informations sur les concurrents. Ces impressions sont impossibles à obtenir en restant dans mon bureau.

Deuxième bénéfice : quand tu retournes voir les investisseurs un an plus tard, ils sont plus ouverts, parce qu’ils ont suivi l’entreprise et l’évolution de l’industrie.

OBJECTIF : 1 MILLIARD

Lors d’une réunion en 2015, j’ai dit à mon équipe : « Dans 10 ans, je veux qu’on vende 1 milliard de lidars basés sur notre technologie. » On a réfléchi aux industries qui pourraient en avoir besoin, comme la machinerie lourde et les mines. Cependant, même en équipant 100 % des véhicules, ce n’était pas assez.

On cherchait une industrie qui pourrait avoir besoin de millions d’unités, pas des centaines. L’automobile s’est alors imposée.

Si on veut vendre 1 milliard de lidars rapidement, parce que le marché évolue à une vitesse fulgurante, il faut penser autrement. On ne peut pas s’imaginer qu’on va faire ça nous-mêmes en engageant des ingénieurs et des équipes de vente.

Pour faire un capteur lidar complet destiné à l’industrie automobile, il aurait fallu développer et maîtriser toutes les compétences. Ça nous aurait pris trop de temps. Il fallait se concentrer sur notre expertise centrale, notre technologie Leddar. En gros, c’est un ensemble de logiciels, d’algorithmes brevetés (58 brevets, dont 44 accordés) et de savoir-faire intégré dans des puces électroniques.

LA STRATÉGIE

Dans cette ronde de financement, je ne voulais pas seulement de l’argent. Je voulais des partenaires stratégiques qui allaient investir du temps et des ressources pour développer avec nous. Je voulais aussi des ententes commerciales.

J’ai choisi de prendre contact avec des partenaires qui sont des experts dans ce qu’ils font, ce qui diminue le risque et accélère la commercialisation.

Integrated Device Technology va faire des puces électroniques avec notre technologie, Osram fournira les composants optiques, Magneti Marelli et Delphi fabriqueront les systèmes et soutiendront l’intégration auprès des manufacturiers automobiles.

HUIT MOIS INTENSIFS

Le 1er octobre 2016, j’ai retenu les services d’un spécialiste des services bancaires d’investissement en Californie, qui avait déjà fait plusieurs transactions dans le domaine de l’automobile. J’ai commencé les présentations sur la route en janvier 2017, en Europe et aux États-Unis. J’en ai fait une cinquantaine. Et j’ai fermé la ronde de financement en septembre 2017.

Ç’a été plus long que j’aurais voulu, mais c’était compliqué d’attacher autant de partenaires en même temps, de les engager commercialement, et sur des sommes importantes. Même mon banquier n’en revient pas. Il a dit : « C’est la transaction la plus complexe que j’ai faite de ma vie. » Et ça fait 26 ans qu’il en fait.

Si on recule il y a quelques années, le véhicule autonome, c’était un concept Star Trek. Tout à coup, l’accélération s’est faite, tout le monde veut embarquer.

Les employés de LeddarTech sont impressionnés par les résultats qu’on a obtenus en si peu de temps. Je leur ai dit : « Écoutez, la gang, ce qu’on fait ici, c’est unique. On est en train de participer à une révolution importante. Ce n’est pas un hasard, les 130 millions. »

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