In The Mouth

Deux repas, mille et une émotions

NEW YORK — Invité à présenter ses « expériences gastronomiques improbables » à New York dans le cadre de l’événement Food Loves Tech, le Montréalais Nicolas Fonseca a servi le week-end dernier une double dose de souvenirs, d’émotions et de saveurs.

« Il faut absolument que tu goûtes les joues du poisson ! C’est le meilleur morceau ! Il n’y a rien de plus délicieux », me confie Allie, une New-Yorkaise que nous ne connaissons ni d’Ève ni d’Adam. Deux secondes plus tard, elle affiche un large sourire en nous montrant un bout de chair de joue de saumon rôti qu’elle tient entre ses doigts.

Bienvenue à In The Mouth, une expérience artistico-culinaire où il vaut mieux ne pas trop se formaliser avec les codes de la bienséance (ou de l’absence de fourchettes !).

En arrivant, les convives découvrent d’abord une immense table recouverte d’une nappe blanche et de divers ustensiles de cuisine.

Des inscriptions et des vidéos racontent quant à eux l’histoire du chef Nuno. Ce dernier serait atteint de paragueusie, une perversion du sens du goût. À proximité, une multitude de bocaux contiennent des ingrédients (anis étoilé, café…) qui semblent totalement étrangers à leurs descriptions (rivière, asphalte…).

Un brin déroutés, les invités tentent de comprendre de quoi il en retourne en humant lesdits pots. Une manière de nous faire « vivre » la paragueusie ? Quand on découvre que le chef Nuno aurait perdu le sens du goût après s’être fait « retirer un germe de pois du cerveau », on se dit qu’il y a toutefois anguille sous roche.

SOUVENIRS, SOUVENIRS SUR LE MODE CULINAIRE

Avant l’événement, l’équipe d’In The Mouth avait invité les participants à répondre à un questionnaire sur leur passé culinaire (texture préférée, ingrédient détesté, plat évoquant l’enfance, etc.).

Armés de ces informations, le créateur Nicolas Fonseca et son (vrai) chef, Jean-Michel Leblond, ont concocté un menu de trois services composés de 62 plats avec plus de 120 ingrédients inspirés des réponses des invités.

Vers 21 h (difficile à dire précisément vu que nos téléphones nous ont été confisqués afin de favoriser les échanges), les organisateurs servent le premier service à même la nappe blanche. « Il est basé sur toutes vos textures favorites », précise Nicolas Fonseca.

Des asperges côtoient des plaques de pâte philo, des quartiers de pêche voisinent des feuilles de salade, des pieuvres sont assises sur de gigantesques steaks de faux-filet. Le tout s’apparente à un joyeux capharnaüm, alors que les cuistots projettent des coulis de sauce en se prenant pour Jackson Pollock.

C’est tout à la fois beau et chaotique, jusqu’à ce que les nombreux participants se ruent sur la nourriture. Les New-Yorkais ont été invités à ne pas se gêner et ils ne se gênent pas.

Sur le même modèle, le deuxième service met en scène nos ingrédients détestés et favoris. Pour savoir ce que l’on croque, mâche, rumine, il faut échanger avec les autres convives. Soudainement, nous discutons avec de parfaits étrangers de nos souvenirs d’enfance, de nos grands-mères, de joues de saumon…

On échange, on se remémore, on s’amuse. « C’est le but, précise le créateur. La nourriture est aujourd’hui traitée comme une commodité, on en parle en termes de santé, d’écologie ou de son côté pratique. J’ai voulu ramener le côté culturel de la bouffe. La nourriture a le pouvoir de faire ressortir des choses, d’évoquer de vieux souvenirs. J’adore voir des gens qui ne connaissent même pas leurs noms parler de la manière dont ils ont été élevés. »

POÉSIE TECHNO

Le lendemain et le surlendemain, le barbu de 39 ans change complètement de formule. Après avoir banni les téléphones intelligents avec In The Mouth, il en fait un des éléments centraux de sa deuxième installation, les Food Sessions, qu’il a élaborée avec la firme de design participatif Daily tous les jours.

Cette fois, 18 convives sont invités à s’installer devant assiettes et couverts, à porter un casque audio et à placer leur téléphone bien en vue afin d’échanger des textos avec leurs voisins de table par l’entremise d’un écran.

Tout à la fois isolé mais en groupe, on déguste un sofrito (une spécialité latino) recouvert d’une délicate galette de riz et de diverses herbes du chef Jacob Rosette alors que le narrateur nous invite à explorer notre palais, à envisager chacune des saveurs, à laisser libre cours à notre imagination.

La nourriture devient un vecteur d’émotions, une sorte de machine à voyager dans le temps et l’espace. Le résultat est tout à la fois ludique et poétique. Les convives qui craignaient une expérience « froide et techno » sont rapidement convertis et les discussions fusent une fois que l’on est débarrassés des casques audio.

À quelques pas, présent mais quasi invisible, Nicolas Fonseca sourit. Au début du repas, il avait rappelé une règle toute simple : « Ce repas est comme tout dans la vie, plus vous y mettez du vôtre, plus vous récoltez. »

In The Mouth sera de nouveau présenté à Montréal à l’automne.

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