Chronique

La SAQ nous en donne-t-elle pour notre argent ?

La Société des alcools du Québec (SAQ) nous en donne-t-elle pour notre argent ? Offre-t-elle à la fois le meilleur dividende qui soit au gouvernement du Québec et les meilleurs prix possibles aux consommateurs ?

Cette question est fondamentale, mais la réponse n’est pas simple. La SAQ est un monopole d’État, donc sans véritable concurrence. On ne peut pas s’en remettre aux forces du marché pour la pousser à être efficace. En conséquence, le gouvernement du Québec doit se doter d’un outil pour s’en assurer, comparable à d’autres organisations semblables.

Voilà, en quelque sorte, l’exercice qu’a tenté de faire le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal. L’organisme vient de produire une étude sur le sujet, qui passe en revue les états financiers de l’organisme depuis plus de 25 ans.

D’abord, faisons un rappel lucide. La vente d’alcool n’est pas une mission essentielle de l’État, comme l’éducation, l’entretien d’un réseau routier adéquat ou la gestion des lois. La vente d’alcool est strictement une activité commerciale, dont l’objectif ultime est de rapporter au gouvernement le meilleur dividende qui soit pour financer ses services fondamentaux.

Cela dit, comment savoir si la SAQ remplit bien cette mission ?

Premier constat : la simple croissance des profits n’est pas un bon indicateur. En effet, un monopole peut simplement majorer ses prix pour augmenter ses profits, puisqu’il n’a pas de concurrence. On l’a vu, il y a quelques années, quand la SAQ a augmenté son bénéfice grâce à la hausse du dollar canadien, plutôt que de refiler l’avantage à ses clients.

En 2007, mon ami Jacques Benoit avait d’ailleurs gagné le premier prix de l’Association des économistes québécois (ASDEQ) pour son enquête « La SAQ gonfle les prix ».

Selon l’étude du CPP, le meilleur indicateur est la capacité de la SAQ à créer de la valeur ou, en d’autres mots, à augmenter ses ventes plus vite que ses dépenses, sans égard aux prix.

Cet indicateur est à mi-chemin entre le bénéfice net et les ventes. Il devient éloquent lorsqu’il est mis en parallèle avec la croissance du nombre d’employés à temps plein et celle des actifs.

Dit autrement, pour que la SAQ donne un rendement satisfaisant, la valeur de l’organisation doit croître plus vite que le nombre d’employés ou les loyers des succursales, comme toutes les entreprises du secteur privé.

En faisant cet exercice, les chercheurs ont constitué deux indices. Le premier mesure la valeur ajoutée de la SAQ par heure travaillée (productivité du travail). Le second tient compte des heures travaillées, mais également de l’ensemble des facteurs de production (productivité multifactorielle).

Le constat est fort intéressant. D’abord, la SAQ a considérablement augmenté sa productivité entre 2000 et 2015. La richesse par heure travaillée est ainsi passée de 100,48 $ à 125,34 $ durant cette période. Le hic, c’est que cette productivité était équivalente à 123,19 $ par heure travaillée en 1989.

La productivité du travail avait fortement chuté en 2000, au terme d’une expansion importante du réseau, notamment en région. Ce phénomène s’explique par le fait que les nouvelles succursales et agences, toutes proportions gardées, avaient moins contribué aux profits que les succursales alors existantes, faisant chuter la productivité moyenne. Les ventes et les profits de la SAQ ont tout de même augmenté durant cette période, cela dit.

Personnellement, je crois qu’à l’époque, l’expansion était une stratégie justifiée dans le contexte d’un monopole d’État, même au détriment de la productivité. Certes, chaque nouvelle succursale rapportait moins, mais elle permettait tout de même au gouvernement de soutirer des taxes aux clients. Maintenant que le réseau est complètement développé, la mesure de la productivité devient pleinement justifiée.

L’autre indice de productivité du CPP incorpore les autres facteurs de production et permet de mieux comparer la SAQ à son équivalent ontarien (LCBO) et à l’ensemble du commerce de détail.

Ainsi, entre 2000 et 2014, l’indice de productivité multifactoriel de la SAQ a crû de 0,3 % par année, en moyenne, comparativement à un recul annuel de 0,25 % pour la LCBO. En soi, il s’agit d’une bonne nouvelle.

En revanche, pendant la même période, le secteur du commerce de détail tel que mesuré par Statistique Canada a accru cette même productivité de 0,61 % par an, soit le double de la SAQ.

L’étude du CPP a le mérite de proposer une méthode pour mesurer l’efficacité d’une SAQ qui n’est pas privatisée. Ces indicateurs pourraient être déterminants au cours des prochaines années, selon les auteurs.

« En ne pouvant miser indéfiniment sur la croissance du volume de ses ventes pour atteindre ses objectifs en matière de dividendes, la SAQ devra inévitablement améliorer son efficacité, sans quoi ce seront les consommateurs qui paieront la facture en payant plus cher pour leur alcool », concluent-ils.

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