Opinion  Commission Charbonneau

Des hyènes et des hommes

Le témoignage de monsieur Accurso à la commission Charbonneau, qui semble avoir déçu les attentes de plusieurs, m’a donné le goût de vous raconter une histoire d’hyènes et de zébus. Que voulez-vous, après tout ce temps au Québec, mon passé de berger continue encore, comme le naturel, à revenir à mon bungalow.

Quand j’avais 16 ans, mon père possédait un énorme troupeau de zébus, qui essuyait parfois les attaques des hyènes. Profitant des nuits sans lune, les fauves faisaient irruption dans l’enclos des bovidés et le lendemain, le spectacle était désolant. Comme stratégie de protection, mon père ne trouva rien de moins que de nous forcer à passer la nuit à côté des animaux dans une paillote déglinguée, surplombée d’un toit en chaume. 

À l’intérieur du refuge, le gardien du jour disposait d’une énorme flûte, taillée dans une corne de zébu. Un instrument qu’il devait faire raisonner dès qu’il entendait ou soupçonnait le mouvement de prédateurs. Jusque-là, je vous entends chercher silencieusement le lien entre cette histoire et Tony Accurso. J’y arrive.

Un jour, alors qu’il était de garde, mon grand frère, un peu délinquant, fit une escapade nocturne au village voisin pour une petite veillée avec ses amis. Lorsqu’il est revenu de sa virée, tôt le matin, quelle ne fut pas sa surprise de constater que les hyènes avaient profité de son absence pour faire un carnage. Quand mon père a découvert les conséquences dramatiques de son irresponsabilité, il était hors de lui. Une colère comparable à celle qui rongeait les gens d’ici lorsque les journalistes d’enquête ont commencé à nous faire des révélations sur la grande intimité entre certains politiciens et des malfrats du béton, de l’asphalte et autres coûteuses infrastructures à desquamation précoce.

Comme solution, mon frère, qui ne manquait pas d’originalité, proposa d’empoisonner les restes de carcasses que les hyènes avaient abandonnées et de se débarrasser de la racaille qui reviendrait inévitablement s’empiffrer. Bref, il voulait que les vrais coupables payent pour leur crime. C’est là que mon père lui a servi cette leçon que je voudrais partager avec vous. Il lui a dit : 

« Le véritable fautif dans cette histoire, c’est toi, qui a failli à ton devoir de surveillance du bien familial ! C’est de la nature des hyènes de chercher à manger des animaux domestiques et le monde a beau changer, elles ne deviendront pas végétariennes, ni ne renonceront à leur hyénitude pour permettre aux bergers de relaxer. »

Dans un système capitaliste, les entreprises sont aussi des hyènes, des machines qui n’ont qu’un seul but : faire de l’argent. Pour arriver à leurs fins, elles travaillent aussi ouvertement à influencer et corrompre ceux qui peuvent les enrichir davantage. Sinon, qu’on m’explique ce que sont ces groupes d’influence appelés poétiquement des lobbyistes. Si on ne veut pas voir un élu se faire photographier avec un homme d’affaires, pourquoi accepte-t-on que les politiciens défroqués, très recherchés par le privé pour leurs relations tentaculaires, se recyclent en démarcheurs pour l’industrie et travaillent à la lumière du jour à essayer de soudoyer leurs anciens collègues ?

Si, pendant des décennies, personne n’a dénoncé ces stratagèmes de copinage entre politiciens et entrepreneurs bien démontrés par la commission Charbonneau, c’est que le système bénéficiait harmonieusement aux deux parties.

Mais les seuls coupables dans cette saga, ce sont les élus, qui ont laissé le bien commun en pâture aux hyènes. Les mêmes qui nous certifient aujourd’hui que la page est tournée et qu’ils sont des gens nouveaux avec des façons de faire bien différentes. Accepterait-on qu’un récidiviste de « l’alcool au volant » plaide la non-imputabilité pour ses frasques passées, simplement parce qu’il dit avoir arrêté de boire ?

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