Science

Le plus grand radiotélescope du monde

De 2500 à 3000 antennes, séparées par 150 kilomètres. Tel est le projet de radiotélescope que pilote en Afrique du Sud Claude Carignan, astrophysicien québécois et professeur émérite de l’Université de Montréal. En prime, il forme la première génération d’astrophysiciens noirs du pays, celle qui prendra la place des Blancs dominant actuellement le secteur.

« Quand j’ai commencé à enseigner au Cap, l’emplacement du Square Kilometer Array (SKA) n’avait pas encore été arrêté », explique M. Carignan, qui passe l’été à Montréal. « L’Australie était encore en lice. J’ai toujours pensé que l’impact serait plus grand en Afrique, où l’astronomie n’est pas aussi développée. Le gouvernement sud-africain s’est engagé à financer le SKA sur dix ans. Sa politique scientifique met l’accent sur trois domaines, l’astronomie, la paléontologie et l’océanographie, parce que le pays ne peut pas exceller en tout. »

Un prototype du SKA, KAT-7, a été inauguré peu après l’arrivée de M. Carignan au Cap en 2011. Un deuxième, MeerKAT, sera terminé dans un peu plus d’un an et sera alors le radiotélescope en réseau le plus puissant au monde. « MeerKAT a en principe un peu moins de surface collectrice que le Very Large Array (VLA) au Nouveau-Mexique, dit M. Carignan. Mais les récepteurs de MeerKAT sont plus sensibles et moins “bruyants”. »

L’acronyme KAT signifie « réseau de télescopes du Karoo », région semi-désertique d’Afrique du Sud. « Meer » signifie « plus » en afrikaans, la langue des Boers, ces colons blancs venus au XVIIe siècle des Pays-Bas. Meerkat est aussi le nom d’un petit mammifère, le suricate, typique du pays.

La conception du SKA sera arrêtée d’ici 2023. « Quand on a commencé à penser à un télescope d’un kilomètre carré de surface collectrice dans les années 80, on n’avait aucune idée comment on le ferait, dit M. Carignan. Mais on savait qu’un jour, la technologie serait au point. On saurait aujourd’hui comment mettre en réseau de 2500 à 3000 antennes, mais il est possible que pour finir, la technologie soit complètement différente. On n’aurait même pas assez de puissance de calcul aujourd’hui pour traiter toutes les données. Ça sera l’équivalent de ce qui est généré sur internet aujourd’hui. »

Les antennes du SKA seront en grande partie en Afrique du Sud, mais certaines se trouveront dans d’autres pays du continent. « Plus les antennes sont séparées par de grandes distances, plus on a de détails sur le ciel », dit M. Carignan. Les antennes sont des soucoupes comme celles qui communiquent avec les satellites.

Des téléscope différents pour des recherches différentes

Quelle est la différence entre télescopes optiques et télescopes radio ? « Selon son état physique, la matière va émettre sur différentes longueurs d’onde, dit M. Carignan. Un gaz à 6000 °C à la surface du Soleil va être visible sur un télescope optique, mais si sa température atteint des millions de degrés, comme dans le cas d’une supernova, il va falloir un télescope à rayons X. Quand il est plus froid, comme l’hydrogène neutre, le gaz le plus abondant de l’univers, qui est à 100 kelvins (- 173 °C), on va le voir dans le spectre des ondes radio. On peut même descendre plus bas avec l’hydrogène moléculaire, qui fait 10 kelvins (- 263 °C). Les étoiles se forment dans des nuages moléculaires, quand l’hydrogène est tellement froid qu’il s’effondre sur lui-même. Quand le gaz se condense, il se réchauffe et ça donne des réactions nucléaires. »

Outre sa chaire de recherche SKA en astronomie multilongueurs d’onde, M. Carignan est aussi lié à l’Université de Montréal, où il travaille depuis le milieu des années 80, et à l’Université de Ouagadougou. « Je termine un projet à l’Université de Montréal, la plus grande caméra à comptage de photons. »

Et Ouagadougou ? « Ma femme est Rwandaise et a fait beaucoup de missions de santé en Afrique, où elle aidait des chirurgiens québécois à opérer certaines maladies. Elle a rencontré le ministre de l’Éducation du Burkina Faso, qui avait étudié à Laval et voulait lancer à Ouagadougou un centre d’excellence en astronomie pour toute l’Afrique de l’Ouest. Je tombais en année sabbatique, j’ai décidé de passer six mois à Ouagadougou. Durant cette période, j’ai été au Cap voir si les gens de Ouagadougou pourraient avoir accès à leurs installations de radioastronomie. Ils cherchaient un expert en astronomie multilongueurs d’onde, tant optique que radio, pour le SKA, et m’ont offert le poste. »

M. Carignan est toujours lié à l’Université de Ouagadougou parce que son projet d’y installer un télescope optique n’est pas terminé. « Je savais que les astronomes de l’Université de Marseille voulaient fermer leur télescope de La Silla au Chili et je leur ai demandé s’ils acceptaient de le donner au Burkina Faso. Le service des relations internationales de l’Université de Montréal a payé le déménagement. Nous sommes allés le démonter au Chili, deux Burkinabés, deux Montréalais et deux Français. Mais il n’est pas encore opérationnel. Il y a eu des problèmes politiques au Burkina Faso, ils se sont débarrassés de leur président et ont un gouvernement provisoire. Le bâtiment est prêt, mais il manque d’argent pour payer la firme taïwanaise qui doit l’électrifier au solaire. »

L’Afrique du Sud du futur

De la demi-douzaine d’étudiants à la maîtrise et au doctorat que supervise Claude Carignan, aucun n’est Blanc. « Les étudiants blancs savent qu’il n’y aura pas de place pour eux comme professeurs d’université avant un bon bout de temps, dit M. Carignan. Quand j’ai commencé, mon meilleur étudiant était Blanc. Quand j’ai demandé qui pensait faire une maîtrise, il n’a pas levé la main. J’ai été le voir après le cours et il m’a dit que s’il voulait faire une maîtrise, il irait à l’étranger parce qu’il n’y aurait pas de poste pour lui en Afrique du Sud après le doctorat. Les jeunes, ceux qui sont nés après la fin de l’apartheid [en 1991], comprennent que c’est nécessaire. Quand je suis arrivé et que j’allais dans un restaurant chic avec ma femme qui est Noire, il nous est arrivé trois fois que des gens demandent de changer de table pour s’éloigner. Chaque fois, c’était des vieux. Ça me fâchait beaucoup, ma femme était amusée. J’ai fini par comprendre que les mentalités allaient changer par attrition. Je prends le poste d’un professeur noir, mais il n’y en a pas en Afrique du Sud qui ont l’expertise nécessaire. Alors je forme ceux qui me remplaceront. »

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