LIGNES D’ÉCOUTE

« COMING OUT » AU BOUT DU FIL

Un vendredi soir, au début de l’été. Nous sommes assis dans les nouveaux locaux de Gai Écoute, tout récemment aménagés. C’est agréablement éclairé, pour un demi-sous-sol.

Il faut dire que dehors, c’est la canicule. Le soleil plombe. Et coïncidence ? Ici, en bas, c’est le calme plat…

« Il fait beaucoup trop beau », glisse en riant un bénévole. Ce soir, ils ne seront que deux : une intervenante et un bénévole, ici depuis 12 ans. Il en a vu, des changements, avec le temps. Mais malheureusement pas autant qu’on pourrait imaginer.

« Il y a eu des combats immenses de gagnés, mais avec notre travail, on voit aussi que dans la pratique, il reste encore tellement de choses… », confirme Madeleine, diplômée de sexologie, intervenante chez Gai Écoute depuis deux ans.

En attendant que sonne son téléphone, elle nous fait le récit de son travail. Les motifs des appels ? Depuis toujours, ce sont les mêmes : la découverte de son homosexualité, les questions entourant le « coming out » et la solitude. Parce que oui, encore aujourd’hui, bien des homosexuels se sentent seuls au monde.

« Le fait qu’il y a des gens qui ne sont pas capables de s’accepter, ça montre bien que la société n’est pas si ouverte. On parle de tolérance. Mais ce n’est pas le bon mot. On devrait parler d’acceptation ! » 

— Madeleine, intervenante chez Gai Écoute

Et oui, poursuit l’intervenante, il y a encore beaucoup de jeunes adultes qui craignent que leur famille « ne les accepte jamais », des gens qui vivent « cachés, une partie de leur vie ». Et ce ne sont pas que des nouveaux arrivants, de contrées lointaines particulièrement peu progressistes. « Il y a autant de Québécois de souche que de gens d’autres cultures. »

Combien de mères appellent encore en pleurant, parce qu’elles viennent de découvrir l’orientation sexuelle de leur enfant ? « Ça arrive assez fréquemment, confirme l’intervenante. C’est le deuil de la vie imaginée pour leur enfant. »

Que répond-elle ? Comme dans toutes les lignes d’écoute téléphonique, le travail en est un ici de validation des émotions, et surtout pas de thérapie. On est dans l’aide ponctuelle. « Les gens doivent trouver eux-mêmes leurs solutions. Et la grande majorité du temps, ils savent déjà quoi faire. Ils ont juste besoin d’être rassurés. » Rassurés dans leur normalité, dans leurs émotions, dans leurs questionnements. Parce que non, ils ne sont pas les premiers à passer par là et ils ne sont pas non plus tout seuls. Au contraire.

Si elle fait ce travail, confie Madeleine, c’est surtout pour « aider des gens, faire un changement dans la vie de quelqu’un, offrir un espace dans la vie de ceux qui en ont besoin ».

Parfois, il lui arrive de pleurer. Il faut dire que certains appels sont particulièrement troublants. Les gens qui ont des idées noires, notamment, et qui disent vouloir en finir, souligne-t-elle. Elle s’attendait à avoir un appel suicidaire par mois. « Mais ma première semaine, j’en ai eu quatre. »

« Parfois, on se sent bien petit face à ce que la personne peut vivre et ce qu’on peut faire pour elle… »

UN SERVICE ESSENTIEL

En mars dernier, le directeur général de Gai Écoute, Christian Paul Carrière, a mis fin à ses jours. Une preuve, entre mille, que même les personnes les mieux entourées du monde peuvent vivre des détresses sans nom. Une employée, qui a requis l’anonymat, confirme que cela a été un immense choc pour la boîte. « Cela démontre encore plus l’importance de notre travail. C’est encore d’actualité. Peu importe l’entourage, on a encore et toujours besoin de chercher de l’aide. »

Gai Écoute n’a pas voulu donner davantage de détails sur sa mort.

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